27 juin 2023
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Des jeunesses actrices du monde de demain

Actualité

Par Camille Paquet, responsable de programme formation et insertion des jeunes au Gret

Les jeunes sont-ils, comme certains le laissent entendre, individualistes, irresponsables, paresseux, inexpérimentés, voire dangereux pour la société ? Ou bien sont-ils au contraire sources de créativité, d’innovation, de dynamisme, d’espoir et vecteurs de changement ? Une multitude d’idées reçues circule à leur propos, souvent paradoxales. En réalité, les jeunes ne forment pas une catégorie homogène et évoluent dans des contextes culturels, sociaux et économiques bien différents.

Les jeunes : de qui parle-t-on ?

Phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, durant laquelle l’autonomisation se traduit par un processus de socialisation au sein du groupe familial et communautaire, chaque jeunesse est singulière. Les jeunes n’accèdent pas de façon égale et avec la même facilité aux attributs et ressources leur conférant un rôle, une place et des compétences valorisées dans leur environnement social. La quête d’un emploi décent reste un défi majeur. Et l’accès limité aux services essentiels (éducation, santé, logement, alimentation) les rend particulièrement vulnérables. La pandémie de Covid-19 a ainsi révélé et exacerbé les défis : interruptions longues de leur formation, pertes d’emplois, détérioration de leur santé mentale, baisse du développement de leurs compétences socio-émotionnelles. Sur fond de normes sociales gérontocratiques, les jeunes n’ont souvent pas voix au chapitre. Dans leur sphère privée, ils et elles n’ont parfois même pas prise sur les décisions qui impactent leurs trajectoires de vie : orientation scolaire et professionnelle, mariage, etc. Dans la sphère publique, où ils sont peu ou pas représentés, leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les décideurs.

Les jeunesses sont définies par les Etats et les institutions selon un critère d’âge biologique. Mais celui-ci varie en fonction des pays et des institutions. Il n’existe pas de véritable consensus. L’Union africaine voit large : il s’agit de toute personne âgée de 15 à 35 ans. La France, moins :  18 à 29 ans, selon l’Insee.  Pour l’Onu, ce sont les 15-24 ans. Il est pourtant déterminant de concevoir « la jeunesse » comme un processus de transition vers l’autonomisation et l’intégration à la société comme « adulte », de considérer son hétérogénéité et de comprendre les interactions avec d’autres rapports de pouvoir (de genre, de classe, etc.).

Pourquoi est-il indispensable de travailler avec les jeunes ?

Le constat démographique est clair : la part des moins de 30 ans dans la population mondiale a atteint près de 50 % en 2023[1]. Leur poids démographique prépondérant doit cependant faire l’objet d’une analyse différenciée au niveau régional. En Amérique latine, en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie, les populations de jeunes se sont stabilisées et devraient peu évoluer dans les années à venir. En Asie, après une croissance rapide et soutenue au cours de la seconde moitié du 20e siècle, leur nombre diminue depuis 2015. Ce continent devrait néanmoins continuer à en compter le plus grand nombre au monde jusqu’en 2080. L’Afrique connaît quant à elle une croissance rapide de sa population de 15-24 ans, qui devrait doubler d’ici 2050. La part des moins de 30 ans y représente 70 % de la population, soit la plus forte au monde.

Comment, dès lors, prendre davantage en compte ces jeunesses, comme au Sénégal où l’âge médian de la population est de 19 ans ? Comment travailler avec elles ? Comment les acteurs du développement, dont le Gret, font-ils évoluer leurs approches ?  La question s’invite de plus en plus dans l’agenda des politiques publiques nationales et internationales. L’Onu, qui a établi un programme d’action mondial pour la jeunesse, reconnaît leur rôle incontournable dans la réalisation des objectifs de développement durable et organise chaque année le Forum mondial de la jeunesse. En Europe, le dialogue conduit avec les jeunes en 2017-2018 a contribué à l’élaboration de la stratégie de l’Union européenne en faveur de la jeunesse pour la période 2019-2027. En France, l’ensemble des politiques publiques ciblées « jeunes » passe par le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse créé en 2016. L’Union africaine s’est elle aussi dotée d’une stratégie « jeunesse ». Et malgré tout, la place donnée aux jeunes dans les processus d’élaboration, de suivi des politiques et dans les projets de développement reste souvent cantonnée à celle de bénéficiaires de l’action publique ou d’actions de développement.

Renforcer le pouvoir d’agir des jeunesses

Convaincus de la nécessité d’inclure véritablement les jeunes au sein des projets de développement – mais aussi au sein des instances décisionnaires, ainsi que des organisations de solidarité internationale et de la société civile –, le Gret et ses partenaires expérimentent depuis 2020, au travers du programme JADE [2](Jeunesses actrices du monde de demain), de nouvelles modalités d’accompagnement. L’idée : renforcer le pouvoir d’agir individuel et collectif des jeunesses afin qu’ils et elles deviennent acteurs et actrices de leur développement et de celui de leurs territoires. Plutôt que de se baser sur le continuum classique « orientation-formation-insertion », le Gret développe une approche intégrale, prenant en compte d’autres dimensions de l’insertion – sociale et citoyenne, environnementale et climatique.

En Guinée, au Sénégal et en Haïti, le Gret soutient ainsi techniquement et financièrement des initiatives portées par des organisations de jeunesses ou des groupes de jeunes. Au Sénégal, il accompagne la formation d’un réseau de jeunes reporters citoyens.  Les dispositifs mis en place par le Gret renforcent également le pouvoir d’agir individuel des jeunes : ils leurs permettent d’accéder aux informations pertinentes pour prendre des décisions éclairées, de renforcer leurs capacités techniques et leurs soft skills. Le Gret s’emploie aussi à leur faire prendre conscience des conséquences du changement climatique et du rôle déterminant qu’ils peuvent jouer dans la transition écologique : c’est notamment le cas au Sénégal où des jeunes ont participé à des activités consacrées à ce thème dans des centres de formation professionnelle. L’ONG met également en place des mécanismes innovants de dialogue intergénérationnel dans les communautés, comme au Mali avec la création de « comités villageois d’accompagnement des jeunes en apprentissage ».

Enfin, le Gret place les « jeunesses » au cœur même de son organisation. Via des actions de sensibilisation et de formations de ses équipes, des activités de production de connaissances et la mise en place d’outils opérationnels, le sujet est devenu une thématique transversale aussi bien dans ses actions de terrain qu’au niveau institutionnel.


[1] Source : base de données de la Banque mondiale

[2] Cofinancé par l’Agence française de développement (AFD)

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