10 novembre 2022
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Urbanisme transitoire : moteur ou gadget des villes durables ?

Actualité

Participation des habitants et habitantes, valorisation foncière, promotion des ressources locales et circuits courts, travail sur l’existant et meilleure prise en compte des usages : l’urbanisme transitoire est un terme qui recouvre des méthodes et projets très divers. Parmi plusieurs définitions possibles, il peut être compris comme toute démarche visant à (ré)activer une vie locale, pour une durée déterminée, sur des espaces non occupés, dégradés, ou en attente d’une opération d’aménagement qui tarde à se concrétiser.

Les projets d’urbanisme transitoire fleurissent aujourd’hui en France et dans le monde. Et pourtant, cette nouvelle manière d’appréhender le projet urbain peut poser question. Le caractère transitoire des initiatives peut paraître en décalage avec les besoins des quartiers et des populations et contradictoire avec la notion de durabilité. De plus, ces pratiques peuvent correspondre à une forme de « marchandisation » de l’urbain et de dépolitisation ou désengagement des pouvoirs publics.  

Afin d’apporter des éléments de réponses à ces questions, le groupement d’animation des Pépinières urbaines a organisé en septembre dernier à l’occasion de la Semaine européenne du Développement durable une table ronde questionnant le lien entre urbanisme transitoire et villes durables.

Cette table ronde a fait  dialoguer Hélène Gros de l’Agence nationale de Rénovation urbaine, Shirley Chebet et Joe Mulligan de Kounkuey Design Initiative (Pépinière urbaine de Nairobi), Marion Rono du Nairobi Metropolitan Services (Pépinière urbaine de Nairobi) et Sarah Lecourt (Gret/programme d’animation des pépinières urbaines).

Peut-on parler d’un pouvoir transformateur des projets d’urbanisme transitoire ? Quelles sont les limites ou défis qui sont rencontrés ? 

Sarah Lecourt, Gret : Dans le cadre des projets des Pépinières urbaines*, nous pouvons véritablement parler d’un pouvoir transformateur des projets d’urbanisme transitoire. Le but sur le long terme des Pépinières urbaines est certes de faire évoluer les pratiques urbaines vers plus de participation, engageant tou∙te∙s les acteur∙rice∙s, plutôt que de faire « juste » du temporaire. Mais le concept d’urbanisme transitoire permet de faciliter la création d’aménagements d’espaces publics. Le transitoire rassure les communes et les maîtrises d’ouvrages, notamment sur les questions foncières, car il est plus facile de promouvoir un projet à durée déterminée dont les équipements peuvent être démontés. Pourtant, dans les faits, nous voyons avec les Pépinières urbaines que les aménagements et équipements tendent à se pérenniser. Ils se pérennisent parce qu’ils viennent répondre à des besoins essentiels des populations, parce que durant le temps du projet, les institutions publiques ont pu être sensibilisées, un dialogue a été instauré et tou∙te∙s les acteur∙ice∙s sont rassuré∙e∙s et convaincu∙e ∙s de la nécessité et de la plus-value de projets participatifs et d’aménagement de l’espace public. 

Dans le fond, l’urbanisme transitoire est un outil, un cheval de Troie permettant de renforcer les pratiques participatives auprès des acteur∙rice∙s et usager∙e∙s des territoires. On peut parler de pouvoir transformateur, de renouvellement de la manière de faire la ville et d’évolution de l’écosystème (pratiques, modes de faire et penser la fabrique urbaine) portés par ces projets et démarches d’urbanisme transitoire. 

En termes de limites et de défis, ce changement de pratique et la pérennisation des aménagements permettent de dépasser la tension qui peut exister entre la notion de transitoire et la notion de durabilité. Mais, dans le même temps, pérenniser des projets d’urbanisme transitoire c’est aussi prendre le risque de faire du durable avec les moyens du transitoire. Il y a donc une vraie réflexion à mener sur comment pérenniser des projets pensés comme temporaires ? Si on veut renforcer le lien entre le durable et le transitoire, il faut affiner les outils, la méthodologie. Dans ces cas où le projet transite de temporaire à pérenne, il y a des enjeux forts de gestion dans un contexte où les ressources humaines et financières ont tendance à manquer.

Hélène Gros, ANRU : Ce qui est innovant en matière d’urbanisme transitoire c’est la prise en compte de la parole des usager∙e∙s pour concevoir la ville. Finalement, cela rejoint bien l’idée que si on prend en compte l’avis des usager∙e∙s et qu’on teste les usages avec l’urbanisme transitoire, on fait des aménagements plus durables car ils vont être mieux entretenus, moins dégradés, plus utiles et donc vertueux.

L’un des enjeux est la généralisation de ce principe, nous voulons encourager l’urbanisme transitoire, non pas de petites initiatives exemplaires mais une pratique plus large des acteur∙rice∙s urbain∙e∙s et locaux. C’est pour ça que l’enjeu d’outiller les porteurs projets est si important. C’est ce qu’on fait par exemple avec le guide « Carnet de l’innovation ». Maintenant, le défi est d’orienter un peu plus l’urbanisme transitoire vers les sujets de la résilience, c’est-à-dire comment prendre en compte l’adaptation au changement climatique dans des tests, des préfigurations (aux niveaux économique, social, végétal) pour tester des nouvelles approches qui permettent de mieux résister aux chocs à venir.

Marion Rono, Nairobi Metropolitan Services : L’urbanisme transitoire peut être permanent et peut être transformateur. À Nairobi dans le quartier de Magourou, 42 partenaires ont travaillé autour d’un projet. Ces partenaires venaient d’horizons différents (ONG, chercheur∙euse∙s, gouvernement, étudiant∙e∙s, etc.) et ont travaillé ensemble pour créer une planification du quartier. Ce qui a commencé comme un petit projet participatif est maintenant porté et figure sur les plans de la ville. Le gouvernement a par la suite investi de gros montants pour la création d’infrastructures. Ce qui a commencé comme transitoire est devenu permanent. D’un autre côté, ce qui est permanent peut devenir mauvais et transitoire. Parfois, il y a des très grands projets réalisés avec beaucoup d’investissements mais qui ne prennent pas en considération les véritables besoins des populations. Dans ce cas-là ces projets, aussi gros soient-ils, n’apportent pas de valeur ajoutée aux habitants et ne sont pas toujours durables.


* Véritables laboratoires d’initiatives citoyennes, les Pépinières urbaines sont des dispositifs d’aménagement de l’espace public. Conçus avec les populations, ils préfigurent ou complètent de grands projets d’aménagement urbain financés par l’Agence française de développement (AFD) et portés par des institutions publiques locales. Les Pépinières urbaines s’inspirent de pratiques d’urbanisme participatif et transitoire en Europe, en Amérique latine et du Nord et sont construites avec les habitantes pour répondre aux enjeux et aspirations locales. Les pépinières favorisent l’exercice du droit à la ville en investissant ou réinvestissant des espaces inutilisés. Elles revendiquent un urbanisme plus collaboratif, inclusif et proche des spécificités locales. Elles réunissent les acteurrices et usageres des espaces publics – pouvoirs publics, associations, acteurs économiques, habitantes, techniciennes, mis en mouvement par les opérateurs « pépiniéristes » qui jouent un rôle de facilitateurs et permettent aux parties de dialoguer.

Les résultats prometteurs des projets pilotes lancés en Tunisie et à Ouagadougou en 2018 ont donné lieu au lancement de nouvelles Pépinières urbaines à Dakar, Abidjan, Nairobi, et bientôt à Antananarivo.

Un réseau des Pépinières urbaines animé par  le Gret (chef de file), urbaMonde, Cabanon vertical et urbaSEN, a été créé pour venir en appui au montage et au déploiement de nouvelles pépinières, et capitaliser sur ces démarches afin d’alimenter le débat sur un développement urbain durable et participatif.

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