Au Cambodge, seule 30 % de la population bénéficie d’une couverture santé. Comment garantir l’accès de toutes et tous aux services de santé et améliorer la qualité des soins ? Pour répondre à ces défis, le Gret collabore étroitement avec les acteurs institutionnels afin d’étendre durablement la couverture des régimes de la sécurité sociale dans le pays. Retour sur 25 ans d’actions qui ont contribué au développement du système de santé public cambodgien.
De la micro-assurance santé à l’institutionnalisation de la sécurité sociale
L’action du Gret débute au Cambodge en 1998. Le pays, qui se remet encore du régime des Khmers rouges, est en pleine reconstruction sociale et économique, et le besoin de couverture santé de la population est très élevé. Si le gouvernement acte alors sa volonté de protéger la population face au risque maladie, il ne se trouve pas encore en mesure de le faire. Pour combler ce besoin, lele Gret lance son premier projet de micro-assurance santé.
Intitulé SKY (abréviation de Sokhapheap Krousa Yeung qui signifie « la santé de nos familles »), le premier projet du Gret intervient d’abord sur une zone géographique restreinte, dans la province du Kandal. Face à l’absence de structures de soins avec lesquelles établir un partenariat, il mobilise des professionnel·le·s de santé privés et offre des soins de base qui ne couvrent que quelques risques.
En 2000, le Gret opère un changement de stratégie avec l’extension de son projet à Takeo, une ville située dans le sud du Cambodge, dans laquelle existe un centre de santé public. Au même moment, un centre de santé primaire ouvre également ses portes dans le Kandal. C’est là un tournant important : la contractualisation avec ces centres permet au Gret de se positionner en véritable partenaire du système de santé public et de démontrer que l’objectif de sa démarche est de contribuer à son développement. A partir de 2002, le Gret renforce son offre d’assurance santé et s’étend à des nouvelles géographies, jusqu’à comptabiliser 18 000 affilié·e·s.
En 2008, le Gret lance le projet HIP dont l’objectif est de faciliter l’accès des populations exclues des systèmes d’assurance santé à des soins de qualité. Le projet bénéficiera à près de 70 000 travailleurs et travailleuses des usines textiles. Le secteur textile, l’un des piliers de l’économie cambodgienne à l’époque, est en effet considéré comme une priorité. Les salarié∙e∙s de ce secteur, constitué en très grande majorité de femmes, doivent faire face à des dépenses de santé importantes au regard de leurs revenus et à des interruptions souvent forcées de leurs emplois.
A partir de 2012, dans une logique de construction d’un système public de couverture maladie, le Gret transfère progressivement ses activités à l’Etat ou à des opérateurs locaux subventionnés par l’Etat pour pérenniser les dispositifs. Surtout, il apporte une assistance technique au Fonds national de sécurité sociale (NSSF) dont il renforce les capacités pour la gestion de la couverture d’assurance santé rendue obligatoire en 2016 pour le secteur privé formel salarié. C’est le début d’une collaboration fructueuse qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
« Avec HIP et SKY et l’assistance technique initiée avec le NSSF, le Gret s’est positionné comme un acteur incontournable pour la mise en place d‘un système de sécurité sociale solidaire, permettant à toutes et tous d’être protégé∙e∙s en cas de risques de vie majeurs. Il est aujourd’hui essentiel de continuer à élargir l’accès à la sécurité sociale, en particulier aux personnes les plus vulnérables, de même qu’il est important d’améliorer la qualité des services », explique Thibaut Hanquet, responsable de projet protection sociale au Gret.
L’extension de l’assurance maladie aux travailleurs informels
Au Cambodge, sur une population active de 7,9 millions de personnes, on estime que 6,1 millions travaillent dans le secteur informel[1]. Dans ce contexte, le Gret accompagne le NSSF dans le déploiement d’un projet pilote d’extension de l’assurance maladie au secteur informel (le projet SPIN). Initié fin 2018, il cible dans un premier temps deux populations particulièrement vulnérables et difficiles à atteindre : les chauffeurs de Tuk-tuk et les personnels de maison. Ce système permet par exemple aux chauffeurs de Tuk-tuk, moyennant une cotisation de moins de 4 euros par mois, d’accéder, entre autres, aux services de soins en milieu hospitalier, de maternité et d’urgence.
« Je gagne à peine de quoi joindre les deux bouts, et je n’ai parfois pas eu assez d’argent pour me payer des traitements médicaux… Je gagne entre 30 000 et 50 000 riels par jour (entre 7 et 10 euros environ). L’accès à la sécurité sociale me permet aujourd’hui d’économiser un peu d’argent si je tombe malade. Si je n’y avais pas accès, je perdrais tout l’argent que j’ai gagné et ce ne serait même pas suffisant pour couvrir les dépenses“, nous confie Phy Samoul, chauffeur de Tuk-tuk à Phnom Penh. “Moi-même et tous ceux qui travaillent dans le secteur informel ou en tant qu’indépendants, sommes heureux de pouvoir accéder aux services de santé… Nous avons longtemps espéré devenir membres du NSSF“.
La suite de ce projet devrait étendre la démarche à d’autres groupes de travailleurs informels, tels que les livreurs et les vendeur∙euse∙s sur les marchés. Avec pour objectif, à terme, d’ouvrir l’accès à tous les indépendants et auto-entrepreneurs.
La création d’une assurance sociale « adaptée au climat »
Le projet « Renforcer l’assurance sociale adaptée au climat au Cambodge », mené en collaboration avec le NSSF, est le dernier-né d’une série de projets qui ont permis d’étendre progressivement la sécurité sociale dans le pays. Signé en février 2023, il vise les travailleurs et les travailleuses agricoles qui, dans leur grande majorité, n’ont pas accès à l’assurance sociale. Il devrait permettre, à terme, de protéger les travailleur∙euse∙s de ce secteur parmi les plus exposé∙e∙s aux risques liés aux changements climatiques, avec des effets sur leur production, leurs revenus, leur sécurité alimentaire et leur santé.
Vers une couverture maladie universelle
Le Gret se positionne désormais pour soutenir la consolidation d’un système d’assurance sociale contributif solide, pour atteindre un objectif ambitieux : la couverture maladie universelle à l’horizon 2030.
« Le Gret est fier d’être le partenaire du Cambodge dans ce travail en faveur de la protection sociale. Nous restons très engagé·e·s, et mettons notre expertise et notre expérience au service des Cambodgien·ne·s pour les aider à accéder à un système de protection sociale complet. Il reste évidemment beaucoup à faire et de nombreux défis politiques, sociaux et économiques à relever, mais je suis convaincue que nous y parviendrons », conclut Keo Socheata, représentante du Gret au Cambodge.
Le Gret s’appuie aujourd’hui sur son expérience réussie au Cambodge pour développer des projets d’assurance santé dans d’autres pays. C’est actuellement le cas à Madagascar.
[1] Selon les données de l’enquête sur la population active (LFS) de 2019