Comment permettre l’accès de toutes et tous et en particulier des plus vulnérables à des soins de qualité ? Dans cette interview, Sophie Biacabe et Elodie Macouillard, responsables « santé et protection sociale » au Gret, reviennent sur l’approche spécifique de l’organisation dans le domaine de la santé et l’importance de renforcer les systèmes de santé.
Le Gret n’est pas une ONG médicale, il intervient cependant dans le domaine de la santé depuis plusieurs années. Quelle est son approche et qu’est-ce qui fait sa spécificité ?
Sophie Biacabe : Au Gret, nous ne sommes pas des prestataires de soins, nos équipes font de l’accompagnement et de la formation. Les interventions du Gret visent en premier lieu le renforcement des systèmes de santé primaires et communautaires. Nous soutenons l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé primaires nationales et leurs déclinaisons locales, sans jamais nous substituer aux dispositifs et systèmes nationaux. Nous renforçons aussi les capacités des directions régionales de la santé, en matière de gouvernance notamment. Nous engageons par ailleurs des actions de promotion et de prévention en matière de santé, avec différents outils, comme des campagnes de communication pour le changement social et comportemental.
Elodie Macouillard : L’une des spécificités du Gret réside aussi dans le fait d’aborder la santé de façon territoriale. Les systèmes de santé sont sectoriels et, souvent, l’aire de desserte sanitaire d’un centre de santé est différente du découpage administratif. Nous nous efforçons, dans nos projets, de réunir les différents acteurs – y compris ceux qui ne font pas directement partie du système de santé – afin de les faire travailler ensemble sur des enjeux communs à l’échelle d’un territoire pour répondre au mieux aux besoins des populations.
Pourquoi le Gret se positionne-t-il uniquement sur la santé primaire ?
S.B – Les soins de santé primaires correspondent au tout premier niveau de recours aux soins institutionnels – les niveaux supérieurs correspondant à des soins de plus en plus spécialisés, dispensés dans les hôpitaux. Nous nous positionnons au niveau primaire car c’est le maillon essentiel du système de santé. C’est aussi le plus efficient. Il permet aux populations d’accéder rapidement aux soins pour les pathologies les plus courantes, empêchant les complications qui demandent un recours à l’échelon supérieur plus compliqué et plus cher. La plupart des maladies sont simples et peuvent être soignées au premier échelon. Cependant, la qualité des soins au niveau primaire est dépendante des niveaux suivants. Il faut, par exemple, qu’une femme ayant besoin d’une césarienne puisse accéder au niveau suivant dans de bonnes conditions.
E.M – Pour assurer cette qualité au niveau primaire, il faut en effet que les autres niveaux fonctionnent en terme d’accès, de coût, d’accompagnement, notamment. C’est pourquoi il est important de renforcer les systèmes de santé des pays à tous les échelons. Nous travaillons pour cela souvent en consortium avec des ONG médicales, comme Médecins du monde, qui apportent un appui au niveau central, par exemple sur la chaîne d’approvisionnement en intrants (médicaments, matériel médical, équipements…). Cela a été le cas en Haïti ou encore à Madagascar.
La santé communautaire est une composante importante du système de santé primaire en termes de promotion et de prévention. Que fait le Gret dans ce domaine ?
E.M – Dans ce domaine nous ciblons la santé sexuelle et reproductive et en particulier la santé materno-infantile. Cela correspond à un véritable savoir-faire du Gret, notamment au niveau villageois et communal en zone rurale, mais pas uniquement. Nous réalisons tout un travail qui consiste à appuyer et à renforcer les compétences des agents de santé communautaire, premiers points de contact des populations avec le système de santé. Ils font la promotion des services de santé primaire et mènent des actions de prévention. En Afrique subsaharienne, ces personnes agissent, en principe, de façon bénévole et sont engagées au sein de leurs communautés.
S.B – Pour la promotion et la prévention de la santé, nous nous appuyons également sur d’autres relais comme les « matrones » (ou accoucheuses traditionnelles), des tradi-praticiens, des leaders religieux ou tout autre personne ayant de l’influence sur leur communauté.
Le Gret agit également dans le domaine de la protection sociale…
E.M – En effet, nous voulons améliorer ce pilier de la protection sociale qu’est l’assurance maladie. Il nous semble important de continuer à renforcer les systèmes de santé dans les pays, tout en travaillant au développement de la couverture santé universelle (CSU). Les deux vont de pairs car l’assurance maladie ne peut fonctionner que si le système de santé est efficace et fonctionnel et que l’on dispose de soins accessibles et de qualité. Aussi, une des plus-value du Gret reste sa capacité à pouvoir intervenir à la fois sur le renforcement des systèmes de santé et sur l’accompagnement de la mise en place de la couverture universelle en santé.
S.B – Nous nous appuyons pour cela sur tout le travail que le Gret mène depuis plus de 25 ans au Cambodge pour le développement d’un système d’assurance santé contributive solide. Cela a déjà permis d’étendre la couverture santé à de nombreux travailleurs et travailleuses cambodgien∙ne∙s des secteurs formels et informels et nous nous fixons désormais comme objectif d’atteindre la couverture maladie universelle dans le pays à l’horizon 2030.
Focus sur un projet
Au Niger, les indicateurs de mortalité maternelle et infantile sont préoccupants. La mortalité maternelle s’élève à 520 pour 100 000 naissances vivantes et, en 2021, le taux de mortalité infantile était estimé à 72‰. Cette situation s’explique en partie par la faible qualité de l’offre de soins et des pratiques inadaptées en matière de santé et d’alimentation, notamment des mères et des enfants : accouchements hors structures de santé, peu de recours aux soins prénataux, etc.
Dans ce contexte, le Gret mène un projet d’amélioration de l’accès aux soins de santé maternelle et infantile, sexuelle et reproductive au niveau communautaire dans le district sanitaire de Filingué, dans la région de Tillabéry. Située au sud-ouest du pays, cette région enregistre l’un des plus hauts niveaux de mortalité infantile du pays.
Les équipes du projet renforcent ainsi les capacités des acteurs communautaires afin qu’ils et elles encouragent la recherche de soin et l’adoption de pratiques adéquates par les populations. Le Gret forme également les personnels des structures de santé du district, les dote en matériel et les appuie techniquement en matière de référencement et de gestion des intrants (médicaments, équipements, etc). Il offre enfin un appui technique et financier au district sanitaire de Filingué dans son rôle de gouvernance.