23 février 2023
Gouvernance foncière Ressources naturelles Systèmes alimentaires Monde

Evaluer l’agroécologie : parution d’un guide pour apprécier ses effets et les conditions de son développement

Actualité

Fruit d’une collaboration entre les équipes d’Agrisud International, d’AVSF, du Cari et du Gret[1], et celles d’AgroParisTech, du Cirad, de l’IRD et de l’Institut Agro Montpellier, le Guide pour l’évaluation de l’agroécologie, co-édité par Quæ et le Gret paraît le 23 février. Il propose une démarche et des outils méthodologiques pour apprécier les effets des pratiques et des systèmes agroécologiques sur les performances agroenvironnementales et socioéconomiques de l’agriculture, mais aussi sur les conditions de développement de l’agroécologie. Il est conçu pour aider les acteurs du développement à mieux concevoir leurs projets, programmes et politiques publiques, à faciliter la création de références et à accompagner les agriculteur·rice·s afin qu’ils puissent mieux évaluer les résultats de leurs pratiques et disposer ainsi d’une aide à la décision.

  • Le guide est disponible en téléchargement ICI

Entretien avec Laurent Levard, agro-économiste au Gret et coordinateur de l’ouvrage.

A quels enjeux essentiels ce guide répond-t-il ?

L’un des objectifs est de produire des données issues d’une démarche scientifique sur les effets socio-économiques et agro-environnementaux des pratiques et des systèmes agroécologiques. On sait que dans tous les pays du monde et à l‘échelle internationale, le débat autour des modèles agricoles fait rage et que des intérêts économiques extrêmement puissants poussent vers des modèles issus de la révolution verte. Il est donc crucial pour les agriculteur·rice·s – et pour les sociétés en général – de pouvoir comparer les effets de l’agroécologie à ceux d’autres modèles agricoles.

La collecte des résultats obtenus sur des territoires particuliers, sur la base d’une démarche scientifique, donne la possibilité de convaincre les décideurs, les agences internationales, la coopération internationale et les pouvoirs publics de l’intérêt de soutenir le développement de l’agroécologie.

Nous venons d’utiliser la méthode d’évaluation proposée par le guide en zone sahélienne, au Burkina Faso, où nous avons pu constater que les systèmes agroécologiques permettent d’améliorer la santé des sols, d’obtenir des rendements agricoles bien supérieurs et de meilleurs revenus pour les agriculteurs. Ils garantissent aussi une bien meilleure sécurité alimentaire, notamment en période de soudure.

A qui s’adresse ce guide ?

Ce guide s’adresse aux acteurs du développement et aux pouvoirs publics. C’est un outil destiné à les accompagner pour rendre leurs interventions plus efficaces. Cela implique d’évaluer les effets de l’agroécologie, et de voir quelles pratiques et quels systèmes permettent d’augmenter les revenus des agriculteur·rice·s, d’améliorer la sécurité alimentaire ou encore par exemple, d’avoir des effets bénéfiques sur la santé des sols et la biodiversité agricole.

A travers ce guide, nous cherchons à leur donner les moyens de mieux comprendre ce que nous appelons « les conditions de développement de l’agroécologie » : c’est-à-dire les facteurs favorables ou limitants de son développement. C’est en les identifiant que l’on est en mesure de voir ce qui doit être mis en œuvre pour lever les freins au développement de l’agroécologie. Une démarche essentielle, car si aujourd’hui – partout dans le monde –  des organisations paysannes, des ONG, des pouvoirs publics soutiennent l’agroécologie, les résultats s’avèrent parfois inégaux. Ces acteurs ont besoin de prendre du recul par rapport à ce qu’ils font en matière de promotion de l’agroécologie et de mieux comprendre les facteurs clés qui encouragent son développement.

Ce guide s’adresse aussi aux institutions d’enseignement supérieur en agronomie et en économie agricole qui cherchent à former leurs étudiant·e·s pour mieux évaluer les performances des systèmes agricoles. Cela permet de démultiplier les évaluations et de continuer à produire des références.

Au-delà, il est utile d’évaluer les effets de l’agroécologie pour les agriculteurs eux-mêmes : aussi bien pour ceux qui la pratiquent déjà, que pour ceux qui ne la pratiquent pas. La méthode prévoit des phases de restitution et de mise en discussion des résultats avec les agriculteurs. Cela leur permet de réfléchir à leur pratique et d’améliorer leurs systèmes de production.

La FAO a créé sa propre démarche d’évaluation de l’agroécologie, en quoi ce guide est-il singulier ?

Le travail de la FAO est important ; c’est en effet la première fois qu’une organisation internationale se saisit de la question essentielle de l’évaluation de l’agroécologie. Le Groupe de travail pour les transitions agroécologiques (GTAE) a d’ailleurs participé à ce travail, et nous nous sommes aussi inspirés de certains de ses éléments méthodologiques. Mais nous avons nos spécificités propres : nous avons fait le choix d’une analyse approfondie des exploitations agricoles et des systèmes de production (rendements moyens, revenus agricoles, sécurité alimentaire), pour garantir une meilleure fiabilité des résultats. Nous nous penchons également tout autant sur les effets des pratiques que sur les facteurs favorables ou limitants du développement de l’agroécologie. Nous préconisons enfin, en plus d’une évaluation ponctuelle, une démarche de suivi-évaluation qui s’inscrit dans le temps et permet de suivre les effets des interventions à intervalles réguliers.

Ce guide aborde aussi l’impact de la transition agroécologique sur l’égalité femmes-hommes. En quoi est-ce pertinent ?

L’agroécologie peut avoir des effets différenciés sur les femmes et sur les hommes et, dans certains cas, diminuer les inégalités ; dans d’autres, contribuer à les augmenter. Son essor peut, par exemple, générer la création de nouvelles activités mises en œuvre par les femmes, leur permettant d’accroître leur niveau de revenu et leur autonomie. C’est par exemple l’un des objectifs de l’intervention du Gret au Cambodge dans le cadre du projet APICI. Mais il peut aussi se traduire par un surplus de travail pour les femmes qui, déjà bien souvent, travaillent plus que les hommes. Ainsi, le guide propose qu’une évaluation différenciée soit réalisée à chaque fois que l’on constate des effets différenciés.

L’agroécologie est-elle en mesure de permettre un regain d’attractivité pour les jeunes ?

C’est une question essentielle. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une fiche spécifique dans le guide. Quasiment partout dans le monde, on assiste à cette volonté des jeunes de bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail que celles de leurs parents. De ce point de vue-là, l’agriculture est généralement peu attractive. L’agroécologie peut constituer un facteur décourageant pour les jeunes si elle se traduit uniquement par un surplus de travail. En revanche, elle peut devenir désirable si elle permet des revenus décents, et si elle donne un nouveau sens à leur travail grâce à la production de produits sains et de qualité.

L’agroécologie s’inscrit parfois aussi dans des dynamiques sociales particulièrement stimulantes pour les jeunes, comme la création d’associations, de coopératives, de processus de transformation des produits agricoles, comme on le constate par exemple dans de nombreux pays latino-américains.

La réalisation du Guide pour l’évaluation de l’agroécologie a bénéficié des contributions financières de l’Agence française de développement (AFD), du Gret, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), du Conseil général des Hauts-de-Seine, des Éditions du Gret, de la Banque interaméricaine de développement et de la Fondation Ensemble.


[1] Regroupées au sein du Groupe de travail pour les transitions agroécologiques (GTAE).

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