30 janvier 2023
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Biodiversité : replacer les populations au cœur de la gouvernance des aires protégées

Actualité

Lors de la COP15 sur la biodiversité de Kunming-Montréal de décembre 2022, plus de 190 Etats se sont mis d’accord sur une feuille de route visant notamment à protéger au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030.

Interview de Barbara Mathevon, chargée de projets Gestion des ressources naturelles et Aires protégées au Gret

La COP de Kunming-Montréal a entériné un accord salué comme historique. Il prévoit notamment la protection de 30 % des espaces terrestres et de 30 % des espaces maritimes  d’ici 2030 (objectif 30×30). Est-ce suffisamment ambitieux ?

Tout d’abord, quand on sait que trois quarts des écosystèmes continentaux et quasiment la moitié des écosystèmes marins sont fortement dégradés[i] et qu’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction[ii], on comprend bien qu’il y avait une urgence absolue à ce que les enjeux liés à la biodiversité soient reconnus et pris en compte au même niveau que les enjeux climatiques.  

L’accord adopté à Montréal s’appuie sur des recommandations portées par les scientifiques depuis de nombreuses années. Le chiffre de 30 % constitue le seuil minimum pour garantir la survie humaine. Et, selon leurs préconisations, il faudra s’aligner sur des niveaux de protection forte. Or, quand on connait le niveau de dépendance immédiate des communautés les plus vulnérables aux ressources naturelles, la protection forte semble difficile à atteindre. La biodiversité remarquable se concentre en effet essentiellement dans les pays du Sud, des moyens accrus doivent donc impérativement être mobilisés pour les aider à faire face à son érosion. A ce titre, l’engagement pris au sein de cet accord de débloquer 30 milliards par an d’ici à 2030 pour les pays en développement est important et va dans le bon sens.

La mise en œuvre de l’objectif 30×30, et en particulier la création d’aires protégées et la prise d’autres mesures de conservation, peut-elle comporter des risques pour les populations vivant sur les territoires visés ?

Le contenu du 30×30, a suscité beaucoup de débats car la mise en place de nombreuses aires protégées, en particulier en Afrique, a pu entrainer une régression, voire une violation du droit à l’alimentation et des droits fonciers et culturels des populations riveraines.

La course aux engagements surfaciques pris par les Etats pour tenir l’échéance de 2030 pourrait encourager des modèles très centralisés de gouvernance qui font l’impasse sur la pleine participation des communautés locales – pourtant les premières concernées. La privatisation de grandes zones par des entreprises engagées dans la compensation de leur empreinte écologique pourrait également entraîner de grands risques d’accaparements de terres. Car derrière le contrôle de l’accès aux ressources naturelles, se joue le partage des bénéfices économiques que le capital naturel représente.

Or, les aires protégées doivent, au contraire, relever le défi de la justice sociale et environnementale. Rappelons que les aires protégées les plus efficaces au monde sont gérées par les peuples autochtones et des communautés locales qui entretiennent un lien spirituel et culturel fort avec la nature. Ces modèles doivent devenir une source d’inspiration.

Les nouvelles aires protégées devront ainsi permettre de sécuriser des régimes fonciers collectifs et de renforcer des droits collectifs dans l’accès aux ressources naturelles. Ce sont là des conditions incontournables pour qu’elles soient acceptées et réellement efficaces.

A propos de l’enjeu de l’inclusion des communautés riveraines dans la gestion des aires protégées, le Gret dispose d’une forte expérience. Quelle est son approche ?

En effet, le Gret met en œuvre depuis dix ans des projets autour des aires protégées à Madagascar, en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud-Est. Il soutient et renforce les communautés locales dans leur participation à la gouvernance et à la gestion de ces espaces et de leurs ressources naturelles.

Son approche vise à promouvoir plus de justice sociale dans les aires protégées en renforçant les droits d’accès de la population aux ressources naturelles, en assurant une meilleure redistribution des bénéfices qu’elles génèrent et en plaçant les acteurs locaux au cœur des processus de décision. Ses expériences sont conduites dans une démarche de recherche–action : des innovations sociales autour des aires protégées sont ainsi testées, en mobilisant une approche par les communs.

Le Gret mène par exemple un projet de protection et de gestion inclusive de la réserve naturelle de Pu Luong, au Vietnam. Il y soutient la participation des femmes issues de minorités ethniques et des villages riverains. Afin de promouvoir les activités communautaires liées à l’écotourisme et un partage équitable des bénéfices tout en préservant les forêts, il accompagne la création d’un cadre de concertation. Celui-ci implique les autorités locales, les autorités de gestion de la réserve naturelle ainsi que les femmes et les hommes issu∙e∙s des communautés.

Sur l’île de Sainte Marie à Madagascar, le Gret accompagne depuis 2018 la population dans sa volonté de mettre en place une aire marine protégée dédiée à la gestion durable des écosystèmes. Il soutient ainsi des actions d’interpellation face aux délits environnementaux et à la corruption environnementale, en expérimentant des actions concrètes de gestion de l’environnement et de gouvernance par les communautés. Il conduit également le processus réglementaire de création de l’aire marine protégée pour un classement officiel attendu en 2025, en préparant les citoyen∙ne∙s à y prendre part.


[i] Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

[ii] Selon l’IPBES

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