Au Vietnam comme ailleurs, la protection des espaces naturels est souvent favorisée par l’implication totale et inclusive des populations locales, dépendantes tant des ressources naturelles que de leur conservation. Afin d’atteindre l’objectif 15 du développement durable de l’Agenda 2030 et de promouvoir plus de justice sociale et de moyens d’action pour les plus vulnérables, le Gret mène un projet de protection et de gestion inclusive de la réserve naturelle de Pu Luong, favorisant la protection du bien commun qu’est cet espace naturel, tout en améliorant les conditions de vie des femmes issues des minorités ethniques.
Malgré des évolutions positives de la législation ces dernières années, les femmes vietnamiennes, et en particulier les femmes issues de minorités ethniques, sont encore confrontées à des comportements discriminatoires et à de nombreuses difficultés dans leur vie quotidienne : pauvreté, accès limité à l’enseignement supérieur et aux possibilités d’emploi notamment. Une partie de ces femmes vit au sein de réserves naturelles ou dans leur périphérie comme celle de Pu Luong (17 662 ha), située dans la province de Thanh Hoa, au centre-nord du Vietnam. Celle-ci abrite d’importantes forêts en cours de restauration écologique, une riche biodiversité et protège les bassins de drainage de la rivière Ma.
La transition d’un accès aux espaces naturels auparavant gérés par les communautés à un strict contrôle par le gouvernement augmente la vulnérabilité et la marginalisation des personnes les plus pauvres. En effet, les communautés locales possèdent peu – ou pas – de terres agricoles et vivent principalement de l’élevage et des produits forestiers qui représentent jusqu’à 60 à 80 % de leurs revenus. Les femmes issues des minorités sont particulièrement concernées car les hommes bénéficient d’opportunités professionnelles en dehors du secteur agricole, localement ou dans d’autres régions. Les femmes, traditionnellement responsables de la subsistance du ménage, sont le plus souvent assignées au foyer. En raison des normes culturelles et des préjugés liés au genre, elles ont un accès et un contrôle moindre sur les ressources naturelles. Au Vietnam, environ 38 % des femmes et 62 % des hommes possèdent des certificats de droit d’utilisation des terres ; celles-ci sont donc rarement pleinement intégrées dans les décisions relatives à la gestion des ressources.
C’est dans ce contexte que la Coopérative de développement rural de Quan Hoa (RDC) et le Gret lancent le projet Pu Luong, soutenu par les Fondation Audemars Piguet et RAJA – Danièle Macovici. L’objectif est d’améliorer les conditions de vie et l’empowerment économique des femmes issues des minorités ethniques Thai et Muong, et de garantir une gestion inclusive et durable des forêts dans les espaces protégés et les zones tampons de la réserve naturelle de Pu Luong. Pour Susan Simmons Lagreau, secrétaire générale de la Fondation Audemars Piguet, ce projet « s’inscrit parfaitement dans notre philosophie visant à favoriser des cercles vertueux entre les êtres humains et la nature. Il combine la sauvegarde des écosystèmes avec la mise en place de chaînes de valeurs permettant aux habitants, et en particulier les femmes, de vivre durablement dans, avec et de par leur environnement ».
Afin de promouvoir les activités communautaires liées au tourisme et un partage équitable des bénéfices, tout en préservant les forêts, le projet prévoit :
Au total, ce sont ainsi 6 770 femmes issues de minorités Thai and Muong (51 % de la population) vivant dans les 31 villages situés dans la réserve et les zones tampons alentour qui seront accompagnées. 70 personnes représentant les autorités locales et les autorités de gestion de la réserve seront également impliquées, et 20000 personnes venant visiter la réserve seront sensibilisées.
Le projet mené par le Gret au Vietnam a obtenu des résultats notables en matière de protection des forêts et d’autonomisation économique des femmes issues de minorités ethniques. Il a aussi permis d’améliorer le pouvoir d’action des communautés concernant l’usage des ressources naturelles de la réserve de Pu Luong et de renforcer le rôle social des femmes au sein des villages.
L’une des principales réalisations est le développement d’un modèle pilote de partage des bénéfices lié à la gestion forestière, impliquant activement les communautés locales et les femmes (57 % de participation en moyenne).
Le projet a également favorisé l’autonomisation des femmes en créant 7 groupes coopératifs féminins, regroupant un total de 237 membres, devenus des espaces d’action collective et de renforcement des compétences. Ces groupes ont facilité l’amélioration continue de la qualité des services (hébergement chez l’habitant, taxis motorisés, produits agricoles comme le riz et le canard) et le partage des ressources entre différentes activités, tels que les performances artistiques et les services de taxis motorisés. La collaboration entre ces groupes a renforcé les réseaux entre les villages, notamment dans les domaines du tourisme et de l’agriculture.
Le projet a eu un impact direct sur :
Indirectement, le projet a touché :
Globalement, le projet a contribué à une réduction de 56 % des cas d’empiétement sur les forêts depuis le début du projet, démontrant ainsi son impact positif sur la conservation et les moyens de subsistance des populations locales.
Soutien aux femmes dans le service de motocyclisme du village de Kho Muong
Avant le projet, le service de motocyclisme dans le village de Kho Muong était désorganisé, entrainant des conflits fréquents sur les clients, des négociations de prix et une exploitation occasionnelle. Cela avait un impact négatif sur la satisfaction des touristes et causait des tensions au sein de la communauté. En conséquence, très peu de femmes participaient au service, et celles qui le faisaient avaient du mal à attirer des clients par crainte des conflits.
Au début de 2022, le projet a aidé à établir un groupe de motocyclisme exclusivement féminin à Kho Muong, composé de 22 membres. Puis, le groupe de femmes s’est élargi pour inclure 24 hommes, avec une femme comme leader et le chef du village en tant que leader adjoint.
Au départ, le groupe a rencontré des défis. Le personnel de Gret est intervenu, offrant un soutien direct en gestion et en opérations, établissant une structure de prix, créant un fonds de groupe, clarifiant les rôles et responsabilités, et définissant des règles en cas de violations. Ils ont également mis en place un emploi du temps, organisé des réunions régulières, et fourni un soutien supplémentaire comme des uniformes, des badges nominaux, une zone d’attente, une liste de prix publique et une formation sur la communication et les connaissances en tourisme local.
Progressivement, le groupe est devenu bien organisé, la qualité du service s’est améliorée et les revenus, en particulier ceux des femmes, ont considérablement augmenté. Certaines ont même élargi leurs services à d’autres sites touristiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de Bá Thước, et ont commencé à travailler en tant que guides touristiques. Aujourd’hui, presque chaque famille de Kho Muong a quelqu’un dans le groupe de motocyclisme, qui a grandi pour atteindre 96 membres, dont 30 femmes.
L’histoire de HA THI DU dans le village de Co Lung
Mme Du a deux fils. Son mari est un agriculteur ordinaire, et actuellement, environ 30 % des revenus de la famille proviennent de l’élevage de canards. Avant le projet Pu Luong, Mme Du et les habitants de Co Lung élevaient des canards Co Lung de façon traditionnelle, avec un taux de mortalité de 30 %. Les ventes aux commerçants locaux prenaient souvent plus d’un mois, ce qui augmentait les couts d’alimentation et rendait l’élevage peu rentable, pouvant entrainer des pertes.
Grâce au projet, Mme Du a amélioré ses techniques d’élevage, réduisant le taux de mortalité des canards à seulement 3-5 % et la vente de canards est devenue beaucoup plus facile et proactive. Elle sait désormais ajuster la taille de son élevage de canards en fonction de son budget, réduisant ainsi la pression d’investissement et le risque de surproduction. Sa clientèle est variée, incluant des grossistes, des commerçants locaux, des détaillants, des restaurants et des établissements d’hébergement à Pu Luong et même des touristes.
Les changements dans les pratiques d’élevage et de vente de Mme Du ont inspiré sa famille à envisager de se diversifier vers d’autres animaux d’élevage. Elle espère bénéficier d’un soutien continu du projet Pu Luong pour se lancer dans ces nouvelles initiatives. Le succès de Mme Du a eu un impact significatif, non seulement en renforçant la confiance au sein de la communauté, mais aussi en aidant à orienter les autres membres du groupe vers une production alignée sur la demande du marché et une gestion plus efficace de leur approvisionnement.