14 décembre 2022
Nutrition et santé Systèmes alimentaires Agroécologie Filières agricoles Nutrition Sécurité alimentaire Afrique de l'Ouest Madagascar

Promouvoir des systèmes alimentaires sains et durables dans les arènes internationales

Actualité

Les systèmes alimentaires pour la première fois à l’agenda de la COP 27

Pour la première fois, l’agriculture et les systèmes alimentaires ont été largement discutés lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à Charm el-Cheikh en novembre 2022 (COP 27). Avec un pavillon spécial dédié aux systèmes alimentaires, cette question cruciale n’est désormais plus ignorée.

Rappelons que l’agriculture contribue à hauteur de 37 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Les terres et les ressources agricoles (forêts, pâturages, végétation) représentent pour leur part des puits de carbone importants, séquestrant 29 % des émissions totales de GES.

Le secteur agricole est aussi l’un des plus vulnérables aux changements climatiques et exposé à des catastrophes récurrentes : vagues de chaleur, sécheresses et inondations, modifications du régime des précipitations, etc. Face aux crises alimentaires et aux famines que ces phénomènes extrêmes engendrent parfois, comme cela a été le cas ces derniers mois dans le Sud de Madagascar, les enjeux d’adaptation des systèmes alimentaires sont immenses.

Si la COP 27 a permis d’acter la création d’un fonds dédié aux pertes et dommages, les financements climatiques restent largement insuffisants. Comme le rappellent les Nations unies : « Les flux financiers internationaux destinés à l’adaptation des pays en développement sont cinq à dix fois inférieurs aux besoins estimés et l’écart se creuse. Les besoins annuels d’adaptation sont estimés entre 160 et 340 milliards de dollars d’ici à 2030 et entre 315 et 565 milliards de dollars d’ici à 2050 »[1]. Au niveau de l’atténuation des émissions, en particulier « les petit∙e∙s exploitant∙e∙s agricoles produisent jusqu’à 80 % de la nourriture dans les pays en développement, mais reçoivent moins de 1,7 % des financements climatiques ».[2]

La biodiversité cultivée, une solution à promouvoir

Les liens à établir avec la COP 15 de la biodiversité (Montréal, décembre 2022) et les enjeux de santé représentent également toujours un défi. Alors que les solutions technologiques restent encore majoritaires dans les propositions d’adaptation et d’atténuation, la biodiversité cultivée n’est pas encore reconnue comme un levier d’action majeur. Elle apporte pourtant des solutions concrètes, accessibles aux agricultures familiales et parfaitement adaptées à des contextes agroécologiques complexes marqués par la sécheresse. Elle amène dans le même temps une diversité alimentaire et une richesse nutritionnelle dans les assiettes des ménages les plus pauvres.

Le Gret intervient sur ces différents enjeux depuis de nombreuses années. Il accompagne le développement de systèmes alimentaires sains et durables, capables de répondre aux enjeux liés aux changements climatiques. À travers la convention programme Asanao « Assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest et dans les Suds », financée par l’Agence française de développement (AFD), il intervient dans huit pays pour renforcer des dynamiques territoriales porteuses. Ses équipes contribuent aussi à alimenter les réflexions et sont force de proposition pour mettre en place des cadres politiques plus favorables à la promotion de l’agroécologie, la préservation des ressources naturelles, le renforcement des collaborations entre acteurs de l’agriculture et acteurs de la santé, et pour le changement de comportement des consommateurs urbains et ruraux pour aller vers des régimes alimentaires sains et durables.

Des blocs agroécologiques et semences locales de qualité pour faire face aux sécheresses dans le Sud de Madagascar

Cette approche est parfaitement illustrée à Madagascar où le Gret intervient en Androy depuis 2002. Le Sud malgache est touché de façon récurrente par des crises alimentaires aiguës. Celles-ci sont dues, notamment, à un climat semi-aride marqué par de faibles précipitations et aggravées par la fréquence des vents secs et des périodes de sécheresse.

Avec les organismes de recherche pour le développement agricole (GSDM, Fofifa, Cirad) et le soutien financier principal de l’Union européenne, le Gret a progressivement mis au point des itinéraires techniques agroécologiques à base de plantes « multi-usages » (alimentation humaine et animale, lutte contre les érosions éolienne et pluviale, restauration de la fertilité des sols dégradés) adaptées aux conditions climatiques semi-arides de l’Androy. Les équipes du Gret à Madagascar ont d’abord réalisé des tests avec des paysan∙ne∙s volontaires sur de petites parcelles de 1 000 m². Puis, à partir de 2009, elles ont commencé une diffusion à plus grande échelle. Avec son partenaire national, le Centre technique agroécologique du Sud (CTAS), une ONG malgache créée en 2013, le Gret a mis au point le concept de bloc agroécologique. Il s’agit d’un aménagement physique et biologique collectif d’un seul tenant, d’une superficie initiale de 10 hectares minimum, à vocation nutritionnelle, productive et environnementale. On y trouve une forte diversité biologique étagée, allant des plantes rampantes jusqu’aux grands arbres. Afin de créer un effet « oasis » protecteur contre les érosions éolienne et pluviale, il se compose de plusieurs parcelles contiguës, propriétés de familles paysannes volontaires, en général issues d’un même lignage et vivant dans un ou plusieurs fokontany[3] ».

Les plantes phares à la base des blocs agroécologiques sont le pois d’Angole (Cajanus cajan indica), le pois de Lima local (konoke), le mil et le sorgho en complément des céréales, légumineuses, tubercules et cucurbitacées cultivées dans le Grand Sud. Cette forte diversité de cultures permet à la fois une meilleure gestion du risque climatique et d’obtenir une alimentation variée, notamment pendant les périodes de soudure. Le CTAS appuie la caractérisation, assure la maintenance et fait la promotion des semences de qualité déclarées (SQD) pour les régions Androy et Anosy. Actuellement, le registre SQD comprends 53 variétés adaptées aux conditions climatiques du Grand Sud malgache.

Notons que grâce à leur connaissance des réalités sociales et anthropologiques de l’Androy, le Gret et le CTAS ont favorisé la levée du tabou qui pesait sur la consommation du pois d’Angole depuis de multiples générations. Lors de la grande sécheresse de 2020 où, par endroit, il n’a pas plu pendant près de 12 mois, les ménages bénéficiaires des blocs agroécologiques ont résisté plus longtemps que les autres et n’ont pas migré. Au retour des pluies, les pois d’Angole ont été les premières plantes cultivées à reverdir : cela a convaincu les ménages et les activités agricoles ont pu être relancées plus rapidement. Ce crash test de grande ampleur a au moins permis de prouver la résilience de ce système de culture innovant. Le CTAS travaille actuellement à la reconstitution des 7 000 hectares de blocs agroécologiques recensés en 2019. Actuellement, ces blocs sont reconnus par le ministère de l’Agriculture malgache comme un système agroécologique résilient bien adapté aux conditions semi-arides du Sud. Ce modèle inspire aussi de nombreux pays du Sahel.

La diffusion de ces nouvelles techniques s’est accompagnée d’une sensibilisation des ménages sur les bonnes pratiques d’alimentation, d’hygiène et de soin. La diffusion de recettes culinaires auprès des familles (notamment destinées aux jeunes enfants) valorise les cultures promues dans les blocs agroécologiques et permet de renforcer la diversification alimentaire des ménages. Dans le cadre du projet Asanao, les équipes du Gret et du CTAS ont été formées sur les liens entre les pratiques agricoles et d’élevage et la nutrition, intégrant les questions de genre. Des outils destinés à sensibiliser les agriculteurs et les éleveurs sur ce lien sont en cours d’élaboration.


[1] https://www.unep.org/fr/resources/rapport-2022-sur-lecart-entre-les-besoins-et-les-perspectives-en-matieres-dadaptation-aux

[2] https://www.ifad.org/fr/web/events/cop27

[3] Le fokontany est la plus petite division administrative du territoire malgache et peut englober plusieurs villages et/ou hameaux.