Depuis 2009, le Gret accompagne l’émergence d’une gouvernance partagée des forêts villageoises de bambou dans la province de Houaphan, au Laos, en s’appuyant sur une approche fondée sur les communs. En 2024, une nouvelle phase a été lancée pour étendre cette dynamique prometteuse à de nouveaux villages d’ici 2027.
La province de Houaphan, l’une des régions les plus pauvres du Laos, abrite plus de 526 000 hectares de forêts naturelles de bambou. Ses habitants, issus majoritairement de minorités ethniques animistes (dont les Hmong, Khmu et Tai Deng), vivent de l’agriculture sur brûlis et de la collecte de produits forestiers non ligneux, à des fins alimentaires et pour compléter leurs revenus. Le bambou constitue une ressource vitale, en particulier pour les femmes et les jeunes. Utilisé pour l’alimentation (pousses de bambou) et les besoins domestiques, il représente aussi une part importante des revenus des familles, leur permettant de financer la scolarité des enfants, l’habitat ou l’accès à l’eau potable et à l’électricité. Ressource naturelle essentielle, le bambou contribue à maintenir le couvert forestier grâce à sa croissance rapide et ses propriétés d’amélioration des sols.
Au début des années 2000, l’expansion des monocultures (maïs, notamment) et des activités industrielles a menacé ces forêts, tout en exposant les villages à une concurrence accrue des investisseurs étrangers.
Le Gret a commencé à intervenir dans la province en 2009. Le potentiel inexploité de cet « or vert » et la forte motivation des populations rurales étaient autant de leviers prometteurs. L’objectif était double : limiter la surexploitation des ressources en bambou et renforcer la reconnaissance des droits et des capacités des villageois dans la gestion de leurs forêts.
ici, l’approche fondée sur les communs combine une logique territoriale (la forêt de bambou) et une logique de filière. Elle permet de favoriser la participation et l’autonomisation des populations locales dans les décisions concernant leurs forêts villageoises. L’enjeu est de réfléchir au rôle que peuvent jouer les acteurs locaux face aux menaces sociales et écologiques.
Pour le Gret, les communs renvoient à une dynamique sociale dans laquelle un groupe d’individus s’organise pour prendre collectivement soin de ressources communes dont il dépend — en l’occurrence, les forêts de bambou. Cette dynamique s’appuie sur la construction d’une gouvernance partagée, impliquant les populations locales aux côtés des acteurs privés et publics.
Le Gret a choisi d’impliquer l’ensemble des acteurs directement concernés par la ressource dans une dynamique collective : villageois, commerçants, revendeurs et autorités publiques. Plus de 80 villages de la province ont ainsi pris part à cette dynamique.
Le Gret a soutenu le développement de cinq filières durables de bambou, fondées sur la diversité des espèces disponibles. Chaque filière repose sur un calendrier saisonnier, un marché et une organisation de production qui lui sont propres.
Un système de suivi villageois durable a été mis en place, permettant de préserver près de 6 000 hectares de forêts naturelles de bambou. Ce système a permis d’identifier et de diffuser des techniques de gestion et de suivi des forêts (récolte, plantation…), ouvrant la voie à une commercialisation du bambou compatible avec le maintien du couvert forestier et sa régénération.
Pour garantir la durabilité de cette dynamique, le Gret a appuyé l’émergence d’une organisation locale : l’Association pour le développement du bambou et des produits forestiers non ligneux (BNDA). Créée en 2021, cette structure a repris le rôle d’appui technique et d’animation du dialogue entre les villageois, les commerçants et les autorités. Il s’agit de la première organisation de la société civile créée dans la province.
En parallèle, le Gret a mené des actions de plaidoyer pour une meilleure reconnaissance du rôle des villageois dans la gouvernance partagée des forêts de bambou et dans les politiques publiques associées. Cette mobilisation a contribué, par exemple, à l’adoption d’une stratégie provinciale de développement de la filière bambou sur la période 2016–2020 à Houaphan.
Au niveau national, le Gret a également soutenu la mise en place d’une plateforme multi-acteurs, afin de contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale pour le bambou. Cette stratégie poursuit un double objectif : lutter contre la pauvreté et garantir une gestion durable des ressources naturelles.
« Avant le lancement du programme Bambou dans notre village en 2012, il n’existait aucune règle pour garantir une exploitation durable de la forêt. Aujourd’hui, nous avons établi des règles, pour nous-mêmes et pour les personnes venant de l’extérieur, et nous étudions la forêt chaque année pour nous assurer de sa régénération. De plus, grâce à la vente du bambou, nous gagnons plus de huit millions de kips par an. Cet argent sert de fonds de roulement pour les membres du village. » Seu Her, responsable du groupement de producteurs de bambou de Ban Houaymeuang.
Depuis 2022, la dynamique provinciale est animée par la BNDA, avec une attention particulière portée à l’implication des minorités ethniques et des femmes.
De 2024 à 2027, le Gret et la BNDA étendent la dynamique à 21 villages de la province de Houaphan, tout en consolidant les acquis dans 50 autres. En mettant l’accent sur les femmes et les jeunes issus des minorités ethniques, l’action vise à améliorer les moyens de subsistance des communautés rurales en valorisant le potentiel économique et environnemental du bambou. Elle s’articule autour de trois objectifs principaux : améliorer les revenus, protéger les forêts et renforcer l’appui aux politiques publiques.
Le projet accompagne plus de 20 000 villageois, dont beaucoup sont pauvres et sans terre, afin de générer des revenus supplémentaires à travers des activités durables liées au bambou. L’objectif est d’atteindre un revenu additionnel d’environ 250 dollars par an, soit une augmentation de 25 % pour certaines familles. Les villageois bénéficient de formations pratiques sur la qualité des produits, la fixation des prix et la commercialisation, afin de mieux intégrer les marchés locaux. Une attention particulière est portée aux femmes et aux jeunes, qui sont formés pour occuper des rôles de leadership dans la production de bambou et la gestion des forêts. Dans les 21 nouveaux villages, le projet identifie et soutient les activités économiques prometteuses autour du bambou. Dans les 50 autres, les pratiques éprouvées sont partagées et diffusées à travers des formations et des échanges entre pairs.
Le projet vise également à protéger plus de 6 000 hectares de forêts de bambou contre les pratiques nuisibles, telles que la culture sur brûlis et la surexploitation. Les villageois sont formés à des techniques de récolte durable et accompagnés dans l’élaboration et la mise en œuvre de plans de gestion forestière. Un système de suivi est mis en place dans chaque village, garantissant une utilisation locale des forêts transparente, efficace et bénéfique pour la communauté. Ces efforts permettent aux habitants de participer activement aux décisions qui touchent leur environnement et leurs moyens de subsistance. Les données collectées sont partagées lors de bilans annuels afin de nourrir une amélioration continue et un apprentissage collectif.
Pour assurer la pérennité des actions, le projet renforce le rôle de la BNDA en tant qu’acteur de référence au niveau national dans le développement communautaire du bambou. La BNDA est dotée d’outils et de compétences lui permettant d’influencer les politiques publiques et de soutenir les initiatives locales au-delà de la durée du projet. Parallèlement, le projet collabore étroitement avec les autorités pour actualiser la stratégie provinciale sur le bambou et contribuer à l’élaboration de politiques nationales et de mécanismes de financement valorisant le bambou comme levier de revenus et de conservation forestière.
En articulant empowerment local, gestion durable des forêts et action politique, le projet constitue un modèle de développement rural durable, reproductible à l’échelle du Laos.
Cette dynamique sociale de long terme, portée par le Gret et la BNDA, est soutenue depuis 2010 par plusieurs partenaires financiers, dont l’Agence française de développement, la Direction du développement et de la coopération suisse, la Fondation Ensemble et Oxfam.