07 mars 2024
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Genre et développement : l’empowerment des femmes

Atelier d'empowerment dans le cadre du projet Girel

Le terme d’ »empowerment » est beaucoup utilisé dans le secteur du développement et de la solidarité internationale. Issu des milieux militants féministes et antiracistes, son sens a évolué au cours des décennies et a parfois été dévoyé. Mais que recouvre ce concept, et comment s’opérationnalise-t-il concrètement dans des projets de terrain ?

L’empowerment, qu’est-ce que c’est ?

Le concept d’empowerment apparaît dans les années 60, avec les travaux en éducation populaire de Paulo Freire et les mouvements militants antiracistes aux Etats-Unis. Dans les années 80, ce sont les mouvements de femmes en Amérique Latine qui utilisent le terme « d’empoderamiento » pour revendiquer un pouvoir d’agir et faire prendre conscience des rapports de domination. Les études de genre féministes consolident ensuite ce concept en affirmant encore davantage sa portée politique.

Le concept chemine ensuite. Dans les années 90, il atteint les milieux du développement, jusqu’à la banque mondiale et l’ONU. Cette large circulation en affaiblit pourtant le sens politique pour en faire un concept plus vague et édulcoré.

Il existe plusieurs définitions de l’empowerment qui, toutes, listent un ensemble de pouvoirs. La plus fréquente en retient trois. Il s’agit d’abord du « pouvoir de » qui renvoie à la capacité à prendre des décisions, résoudre des problèmes et accomplir des projets. Ce premier aspect renvoie aux connaissances et aux capacités intellectuelles (savoir et savoir-faire), ainsi qu’aux besoins matériels et aux moyens économiques (avoir). Le second aspect est le « pouvoir intérieur ». Il fait référence à la confiance et à l’estime de soi, à l’identité et à la force psychologique de l’individu (savoir-être). Enfin, le « pouvoir avec », troisième aspect, amène une dimension collective : il met en avant la solidarité, le lien communautaire et l’action politique ; en somme, le fait de s’unir autour d’un objectif commun à défendre.

L’empowerment peut donc être compris comme le processus qui vise à acquérir et renforcer ces trois pouvoirs. En anglais, on utilise le verbe « to empower » qui suggère cette dynamique. On cherche à gagner de l’empowerment, tout comme on peut en perdre.

Le terme est difficile à traduire en français. Les mouvements féministes francophones ont construit le mot « empouvoirement » qui, seul, permet de désigner le processus de développement permettant d’acquérir ces capacités et pouvoirs. Mais dans les milieux francophones on utilise aussi « pouvoir d’agir », « émancipation », ou encore « autonomisation ». Toutes ces traductions amoindrissent cependant le concept, ne permettant pas de rendre compte des multiples dimensions évoquées plus haut.

L’opérationnalisation de l’empowerment dans les projets de développement : quelques exemples

L’opérationnalisation de l’empowerment dans les projets de développement se traduit par différentes méthodologies et invite à porter une attention aux groupes les plus vulnérables, et notamment aux femmes, souvent identifiées comme telles dans les projets de développement. En termes de posture, il convient de refuser tout essentialisme, c’est-à-dire, de ne pas enfermer ces groupes dans leur vulnérabilité. On cherche au contraire à leur proposer d’en sortir pour se trouver d’autres destinées.

Une démarche caractéristique d’empowerment est la promotion de la participation de ces groupes à la prise de décision politique. Cela peut se faire à diverses échelles, même très locales. C’est par exemple le cas d’un projet de gouvernance partagée de la ressource en eau mené par le Gret dans la zone des Niayes, au Sénégal. L’objectif est d’accorder à l’ensemble des acteurs et actrices locaux∙les un véritable droit de décision dans la gestion de la ressource. Il faut pour cela encourager la participation massive des femmes aux instances de gouvernance et leur accès à des postes à responsabilité. Pour favoriser la prise de parole et l’expression publique des femmes, une série d’actions, comme l’organisation d’ateliers d’expression théâtrales, ont ainsi été menées par les équipes du Gret. Avec l’idée que l’empowerment est un processus, comme le souligne d’ailleurs très bien l’une des membres d’une instance de gouvernance participative mise en place dans le cadre du projet : « On ne naît pas avec l’esprit du leadership, mais on le forge en nous ».

Les projets menés par le Gret et d’autres ONG, cherchent aussi à amener des personnes vulnérables et minorisées à construire des solutions à leurs problèmes, en gagnant du pouvoir sur leurs vies. C’est par exemple le cas d’un projet mené par le Gret au Vietnam pour améliorer les conditions de vie des ouvrières migrantes dans les zones industrielles[1] . L’objectif était de leur permettre de renforcer leurs connaissances pour mieux défendre leurs droits et de les amener à être en capacité de dialoguer et de négocier leurs conditions de travail avec leurs managers.

Participation de façade, « désempowerment », acquis fragiles : limites et défis

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le terme d’empowerment a pu être quelque peu vidé de son sens au cours de son histoire. C’est notamment le cas lorsqu’on ne lui donne qu’une portée économique. On peut par exemple trouver, sous cette étiquette, des projets d’autonomisation économique des femmes qui mettent en place des activités génératrices de revenus via de petits travaux, souvent informels. Même si l’amélioration des conditions de vie est un préalable à l’empowerment, nous restons loin du compte…

On attend aussi beaucoup des processus participatifs qu’ils génèrent de l’empowerment, en se contentant parfois de favoriser la participation des femmes aux projets. On les recrute, on les met en avant, mais sans autre mesure, cette participation peut rester factice. Même si on laisse aux femmes du temps de parole, leurs suggestions, points de vue et positions peuvent ne pas être prises en compte ou suivies d’effets : tout se déroule sans que la participation ait eu une portée transformative. Cette fausse participation peut s’avérer dangereuse car amener des personnes à participer sans les écouter est susceptible de produire l’effet inverse, et de déboucher sur ce que l’on pourrait appeler du « désempowerment »[2].

L’empowerment des groupes vulnérables et minorisés, seul, reste très fragile. Les personnes ayant gagné en capacité d’action, en confiance et en pouvoir économique deviennent plus revendicatrices. Mais ces changements s’ancrent dans des contextes sociaux, politiques, économiques particuliers. Si la société n’est pas prête, cela peut produire un véritable effet de retour de bâton, et se traduire, par exemple, par des violences conjugales. Les actions doivent ainsi toujours s’accompagner d’une transformation sociale plus globale. On n’intègre pas le genre dans nos projets en ne travaillant qu’avec les femmes, on travaille aussi avec les hommes pour les préparer à devenir parties prenantes et facilitateurs des changements sociaux qui seront induits.

Enfin, un autre défi rencontré dans nos projets est l’évaluation de l’empowerment : il s’agit en d’un processus long, non linéaire et donc difficile à quantifier. On peut mesurer une amélioration des conditions de vie par exemple, mais difficilement la prise de confiance en soi ou le gain de pouvoir politique. Dans le secteur « genre et développement » nous prônons des évaluations très qualitatives, à réaliser sur un temps long.

Par Mélanie Canino, responsable genre au Gret

En savoir plus :
Agir pour le genre (f3e.asso.fr)
S’engager pour le pouvoir d’agir, recueil de pratiques pédagogiques (…) – Frères des Hommes (fdh.org)


[1] En partenariat avec Batik International et l’ONG vietnamienne CDI

[2] Voir à ce sujet : Women’s Participation and Empowerment Animation

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