La Fondation de France soutient le programme de recherche-action mené par le Gret sur les communs. A travers une quinzaine de projets de gouvernances partagées de territoires, de services essentiels et de ressources naturelles, ce programme teste des alternatives aux modes de gouvernances actuels afin de mieux répondre aux enjeux de justice sociale et de transition écologique. Le partenariat avec la Fondation de France, permet notamment d’organiser un cycle de rencontres, permettant de croiser des expériences françaises, sénégalaises et togolaises de gestion « en commun » de l’eau.
Interview de Laetitia Bertholet, responsable du Collectif d’action Transition écologique juste et solidaire à la Fondation de France, sur l’intérêt de l’approche par les communs.
La Fondation de France porte un programme spécifique dédié aux communs depuis quelques années. Pouvez-vous nous dire quel est pour vous l’intérêt de cette approche par rapport aux défis environnementaux et sociaux actuels ?
A la Fondation de France, nous sommes convaincus qu’il est fondamental que toutes les personnes directement concernées par les enjeux écologiques sur leurs territoires participent à la mise en œuvre des solutions.
Dans les années 90, la Fondation de France menait un programme qui portait sur la participation citoyenne dans les initiatives de transition écologique. Nous pensions déjà qu’il fallait que les parties prenantes puissent se concerter autour d’une problématique environnementale. Au moment de la COP 21 qui a vu émerger fortement la voix des citoyen∙ne∙s et celle du secteur privé avec la volonté d’influer sur les politiques environnementales, nous nous sommes dit qu’il fallait dépasser la simple concertation et que les parties prenantes s’impliquent dans les décisions. C’est là que nous nous sommes demandé comment gérer les ressources avec une approche par les communs.
Nous sommes ainsi passé d’une approche qui était de dire « il faut faire dialoguer tout le monde » à une approche qui est de dire « pour faire avancer la transition écologique, il faut que tout le monde ait un pouvoir d’agir ». Et ainsi aller vers une gouvernance qui inclut toutes les parties prenantes et, en particulier, les citoyen∙ne∙s et les usager∙e∙s des ressources.
La notion de « transition juste » nous tient aussi particulièrement à cœur. Avec cette idée que la transition écologique c’est aussi œuvrer pour un monde avec plus de justice sociale et de démocratie où chacun∙e a une voix, quelle que soit la place occupée dans la société.
Vous soutenez le programme de recherche-action du Gret sur les communs dans les Suds. Comment ce programme contribue-t-il aux réflexions en cours à la Fondation de France sur la transition écologique juste?
Cette transition écologique doit se passer partout, avec tous et sur un même pied d’égalité. A ce titre, nous avons beaucoup à apprendre de ce qui se fait dans les Suds. En France, malgré des réseaux qui la portent et des expérimentations, la notion de « communs » reste encore peu connue. Dans les Suds, au contraire, des expériences accompagnées par le Gret sont en cours depuis assez longtemps déjà. Nous nous sommes dit qu’il serait très intéressant de croiser nos regards et de capitaliser sur des expériences du Nord et du Sud.
Ce qui préside à ce partenariat, c’est vraiment l’idée de collaboration et de partage d’expériences pour se nourrir mutuellement et porter plus fortement l’approche par les communs et ses avantages pour la transition écologique. Le Gret a une expérience dans l’accompagnement de proximité et nous aimerions partager la méthodologie développée dans ce cadre.
Pouvez-vous nous citer quelques projets accompagnés en France par la Fondation ?
Nous soutenons, par exemple, une initiative dans les Cévennes avec l’IRD et Agrocop. Là-bas, le pastoralisme existe encore mais a besoin d’être encouragé pour préserver le paysage et une agriculture paysanne. Les éleveurs avaient du mal à faire paître leurs troupeaux car certains terrains, détenus par des propriétaires privés, n’étaient pas accessibles. Une démarche a été mise en place avec les collectivités locales, la communauté de communes, les propriétaires et les éleveurs pour la construction d’une charte partagée permettant à ces derniers de faire paître leurs troupeaux sur des terrains privés et de gérer ensemble les règles du pastoralisme sur la zone. Aujourd’hui, l’initiative de charte partagée est en passe d’être transposée sur un pacte plus global pour aller vers un territoire agroécologique.
Nous avons aussi accompagné « Forêts alpines », une démarche de long terme : deux communes propriétaires de forêts ont souhaité ouvrir leur gestion à l’ensemble des usagers et usagères de la forêt. Avec l’IRD, nous travaillons à sensibiliser et impliquer le grand public, pour qu’il prenne conscience de enjeux liés à la gestion de la forêt avec pour objectif, à terme, d’élaborer une charte de gouvernance partagée de ces forêts impliquant les citoyen∙ne∙s, les propriétaires, les associations, les chercheur∙euse∙s.
Justement, que pensez-vous de ces démarches menées sur un temps long ?
A première vue, cela peut sembler contradictoire avec l’urgence écologique, mais à la Fondation de France nous sommes très conscients que ces démarches prennent du temps. Et nous sommes convaincus qu’à la fin, l’initiative sera plus solide et pourra tenir dans la durée, car toutes les parties prenantes auront pris conscience de l’importance de la ressource. Nous avons été les premiers à financer du temps de rencontre et du temps de concertation – souvent un angle mort pour les financeurs. Et nous continuons à le faire avec l’approche par les communs : nous finançons le temps de construction de la gouvernance, les moyens humains nécessaires pour mettre en place les liens entre les parties prenantes. Aujourd’hui, d’autres fondations prennent conscience de l’importance du financement dans la durée dans des logiques de partenariat avec les structures accompagnées, pour développer leurs initiatives sur le long terme.
La Fondation et le Gret organisent un évènement public le 25 septembre prochain* pour aborder la question de la gouvernance de l’eau, à partir d’expériences menées en France, au Sénégal et au Togo. Qu’en attendez-vous ?
Cet événement est une concrétisation du partenariat noué avec le Gret. Il s’agit de croiser les regards entre Nords et Suds et porter ensemble l’approche par les communs en unissant nos forces et nos réseaux pour pousser l’émergence de cette notion.
Par ailleurs, l’eau est un sujet urgent, essentiel. Il concerne un grand nombre d’acteurs – les collectivités, les professionnels de la gestion de l’eau, les agriculteurs et agricultrices, les citoyens – et cristallise aujourd’hui beaucoup de débats. C’est donc un point d’entrée très actuel pour montrer comment on peut répondre à l’urgence écologique avec une approche par les communs.
L’objectif sera de pouvoir convaincre différents acteurs qui peuvent avoir un effet de levier sur la mise en place ou l’accompagnement de ces expérimentations : professionnel∙le∙s de la gestion de l’eau, fondations, pouvoirs publics ou élu∙e∙s qui peuvent accompagner ou financer ces expériences.
*Rencontre : Comment préserver et partager l’eau face aux changements climatiques ?
Comment assurer une gestion plus durable et inclusive des ressources en eau ? L’eau pourrait-elle devenir un véritable « bien commun », géré de manière partagée et locale par tous ses usager∙e∙s ? Associations, citoyen∙ne∙s, acteurs économiques et collectivités peuvent-ils parvenir, ensemble, à prendre soin et maîtriser les usages de l’eau ?
Le Gret et la Fondation de France vous donnent rendez-vous le 25 septembre 2024 de 14h à 18h30 pour échanger sur des initiatives inspirantes menées en France, au Sénégal et au Togo par des organisations de la société civile et des collectivités territoriales.