Le typha, un roseau invasif, colonise les rives du fleuve Sénégal depuis plus de 30 ans. Pour lutter contre ce fléau, le Gret et son partenaire, l’Iset de Rosso, ont développé une technologie permettant de transformer cette plante en biocombustible renouvelable. Une expérimentation illustrée en images, à travers un travail de capitalisation vidéo réalisé en Mauritanie.
Depuis l’installation des barrages de Diama et Manantali dans les années 80 sur le fleuve Sénégal, le typha australis, roseau invasif à croissance rapide, colonise les rives du fleuve, les bassins et les axes hydrauliques. Cette plante étouffe la biodiversité et a des impacts importants sur la population, car elle la prive d’accès au cours d’eau et à ses ressources. Les secteurs de l’agriculture, l’élevage et la pêche en sont très fortement affectés. On note également une recrudescence des maladies liées à l’eau stagnante – bilharziose, paludisme, etc. À ce jour, aucun programme local, national ou international n’a réussi à endiguer la prolifération de la plante. Les objectifs ont glissé de l’éradication, à la lutte, puis au contrôle, pour finalement chercher à faire d’un fléau un allié en le valorisant. Notamment en énergie…
Un apprentissage collectif
Pourtant, la consommation de charbon de bois dans cette région, principalement pour la cuisson, a des effets dévastateurs sur l’environnement. Au Sénégal comme en Mauritanie, avec respectivement 1,5 et 6 millions de m3 de bois utilisés par an, la déforestation est massive.
Face à cette situation, le Gret et ses partenaires l’Institut supérieur d’enseignement technologique de Rosso (Iset) et le Parc national du Diawling (PND) travaillent depuis 2011 sur la valorisation du typha en biocombustible propre et durable. Des recherches, financées dans un premier temps par l’Union Européenne et l’Agence de la promotion pour l’accès universel aux services (Apaus), ont permis d’aboutir à un processus de fabrication d’une ressource performante – solide, avec un pouvoir calorifique intéressant et peu de fumée à l’utilisation – et à un coût compétitif par rapport au charbon de bois. Pour ce faire, le typha est coupé, séché, carbonisé puis compressé en briquettes qui peuvent ensuite être utilisées pour la cuisine.
Plusieurs unités artisanales de production de ce biocombustible ont été mises en place en Mauritanie puis au Sénégal par un transfert de compétences Sud-Sud. Ces unités sont principalement tenues par des coopératives féminines dans des villages à proximité de points d’eau envahis par le typha. Elles permettent la coupe et le contrôle du typha sur certains sites, un approvisionnement local en biocombustible alternatif à l’utilisation de bois-énergie, ainsi qu’un revenu additionnel pour ces femmes « charbonnières ». Bien que la qualité du biocombustible soit avérée et qu’un écosystème d’entreprises complet ait été mis sur pied (équipementiers des machines-outils de production de biocombustible, certificateur qualité, partenaires de distribution), les activités de développement commercial ont été insuffisantes et les unités peinent encore à diffuser l’ensemble de leur production. L’un des enjeux est donc de poursuivre l’appui à ces coopératives, avec le soutien de nouveaux partenaires financiers et techniques, notamment via du mécénat de compétences.
Les avantages du biocombustible typha – Peu de fumée, d’odeurs et de cendres – Allumage rapide – Combustion longue – Pouvoir calorifique élevé – Humidité faible – Solide |
Un potentiel inestimable
Les efforts engagés pour valoriser le typha en biomasse énergie n’ont pas encore permis d’endiguer la progression de la plante invasive. En Mauritanie, le Gret et ses partenaires envisagent désormais, grâce à une technologie développée par l’Iset, de mettre en place une usine de production semi-industrielle de ce biocombustible de typha, mélangé à de la balle de riz, avec des capacités de production plus importantes en créant les conditions favorables à sa réussite commerciale afin de répondre aux besoins croissants en combustible alternatif au charbon de bois et aux exigences des populations urbaines : réduction du coût, amélioration des caractéristiques techniques du produit, etc. Au travers de ces projets pilotes, le Gret souhaite démontrer la viabilité de cette filière dans l’optique d’un déploiement à plus grande échelle et d’une réplicabilité du modèle à d’autres régions, voire d’une application à d’autres plantes invasives. Le projet, lauréat en 2015 du Prix Convergences et en 2018 de l’appel à projets « Solutions innovantes pour l’accès à l’énergie hors réseaux » de l’Ademe, vise à exploiter le typha jusqu’à épuisement, là où il est impératif de récupérer des terres agricoles envahies, de rendre l’accès au fleuve et à la pêche, ou de désengorger les canaux.
Le potentiel du typha pour l’énergie est fantastique, mais ce n’est qu’une étape. D’autres pistes pour une exploitation à plus large échelle sont d’ores et déjà en cours d’exploration. Les jeunes pousses au cœur de la plante s’avèrent délicieuses et sont même un mets prisé dans les gastronomies asiatiques. La transformation du typha en matériaux de construction aux propriétés isolantes pourrait renforcer l’efficacité énergétique des bâtiments et avoir un réel impact sur le secteur de la construction. Ces valorisations sont des opportunités permettant de mieux maîtriser l’évolution du typha par une coupe régulière pour l’approvisionnement, pour ainsi lutter contre la déforestation et le changement climatique, et contribuer à la transition énergétique dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre en développant par exemple l’utilisation de combustibles renouvelables ou de matériaux biosourcés.
Des témoignages vidéo pour transmettre les bonnes pratiques
Pour rendre compte du chemin parcouru, un travail de capitalisation vidéo a été mené en Mauritanie. Ces capsules vidéo, réalisés par Christine Bouteiller avec l’aide des équipes sur place et de la socio-anthropologue Audrey Dupont – Camara, retracent « l’odyssée du typha » et donnent à voir différentes facettes du projet. Elles montrent l’évolution de la situation, depuis l’apparition de la plante invasive et ses conséquences, jusqu’à la semi-industrialisation du processus de production du biocombustible, ses perspectives, et ses limites.
Ces vidéos, disponibles sur le site www.typha.org, facilitent le partage d’expérience entre d’une part les « pionnières » – les entreprises mauritaniennes –, et d’autre part leurs homologues sénégalaises, où le projet a essaimé par la suite. Dans leurs témoignages, les protagonistes reviennent notamment sur ce qui a fonctionné, mais aussi sur les défis qui restent à relever – comme par exemple les aspects liés à la « commercialisation ».
Ces interviews filmées viennent compléter la diversité des discours qui existent autour de la transformation du biocombustible typha. Elles ont aussi le mérite de rendre accessibles à un public plus large et de façon synthétique, certains éléments qui figuraient jusque-là uniquement dans quelques rapports. Les conseils délivrés à travers les différents tutoriels pourront s’avérer très utiles, à la fois pour les principaux intéressés mais aussi pour toute personne qui s’intéresse au développement et à la gestion de projet !