08 juillet 2024
Ressources naturelles Eau Afrique

Gestion durable de l’eau : l’équilibre des pouvoirs 

Projet de gestion intégrée des ressources en eau au Togo

« Les personnes les plus concernées par les ressources sont les plus à même de les gérer durablement ». Plus qu’un constat, c’est un positionnement politique que porte le Gret pour plus de durabilité et d’équité dans la préservation et la gestion des ressources. En effet, l’eau est aujourd’hui reconnue comme un bien commun indispensable tant à l’humanité qu’à l’ensemble du vivant. Pourtant, elle est menacée par des activités humaines et les effets du changement climatique. Sa répartition est une source croissante d’inégalités et de tensions entre les usages anthropiques et ceux nécessaires à la survie de la biosphère et des écosystèmes, qui nous rappellent l’urgence à repenser les modes de gestion et de gouvernance de l’eau. Comment dès lors, concilier tous ces usages de façon équitable et durable ? 

Le modèle de « Gestion intégrée des ressources en eau » ou « Gire » est censé apporter des réponses à cette question. Il est apparu sur la scène internationale en 1992 lors de la conférence des Nations unies sur l’eau et l’environnement à Dublin. Alors que l’eau a longtemps été perçue uniquement comme une ressource illimitée à consommer, la gestion intégrée des ressources en eau prend en considération l’ensemble des interdépendances entre les écosystèmes. De nombreux pays en développement se sont depuis dotés de nouvelles politiques de l’eau et de programmes nationaux de gestion intégrée mais peinent à savoir comment les mettre en œuvre sur le terrain. 

Le Gret, lui, promeut une approche ascendante et démocratique où les acteurs des territoires comme les autorités locales et les usagers, sont pleinement impliqués dans la co-construction de solutions et la prise de décision sur l’utilisation et la préservation de ces ressources.  

Inclure les citoyen∙ne∙s dans les instances de décision 

Depuis près de 50 ans, le Gret est convaincu qu’impliquer dans ses projets les populations concernées à l’échelle locale est essentiel pour pérenniser les dynamiques de changement. Il considère ainsi que la gestion intégrée des ressources en eau doit être guidée par un cadre légal national mais que celui-ci doit être démocratique et se décliner localement, en impliquant l’ensemble des acteurs et actrices des territoires. Au Sénégal et au Togo, il appuie l’émergence de dispositifs de gouvernance et de gestion composés de citoyen∙ne∙s et usager∙e∙s locaux[1]. Pour renforcer la représentativité de ces espaces de gouvernance, le Gret a par exemple organisé au Sénégal des ateliers d’empowerment pour favoriser la prise de parole des femmes et leur sentiment d’appartenance au sein de ces comités. Ces dispositifs de gouvernance et de gestion sont voulus évolutifs et dynamiques pour s’adapter aux changements de contextes sociétaux et environnementaux. 

Repenser nos modèles de gouvernance de l’eau 

Impliquer l’ensemble des personnes concernées dans les instances de gestion et de gouvernance existantes est primordial. Mais face à l’urgence sociale et écologique, cela n’est malheureusement pas suffisant. Alors que la gestion intégrée des ressources en eau en France est souvent érigée en modèle, les conflits récents autour des méga-bassines montrent aussi les limites de la participation : les différentes conceptions de l’eau et de son utilité parviennent-elles à s’exprimer et à être entendues ? Ou bien la rationalité économique prend-t-elle le pas ? Il y a urgence à sortir d’une vision anthropocentrée, court-termiste et basée sur la dimension économique de l’eau pour aller vers un modèle intégrant le vivant, tout comme il faut sortir de la logique tout privé ou tout public pour parvenir à concilier tous les intérêts. 

L’approche par les communs, une vision du vivre-ensemble 

S’inspirer des communs[2] comme principe politique permet de construire une vision du vivre-ensemble et de repenser nos modèles de société. Le Gret développe depuis 2018 une approche par les communs, notamment autour de la gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle locale. Cette approche promeut la mobilisation collective des citoyen∙ne∙s et usager∙e∙s dans la gouvernance des ressources qui leur sont essentielles. Elle permet de penser ensemble les enjeux de justice sociale et de transition écologique. Il ne s’agit pas de priver les Etats de leur pouvoir de régulation, de contrôle et d’anticipation des risques mais de garantir un usage raisonné et concerté.

En outre, les acteurs locaux sont maîtres du processus, le Gret joue un rôle de facilitateur : il les oriente et accompagne l’émergence de dynamiques considérant les règles endogènes et les représentations de l’eau existantes. Au Bénin, dans la vallée de l’Ouémé, le Gret observe, par exemple, comment concilier tous les usages de l’eau (humains et environnementaux) tout en intégrant les us et coutumes locales. À Madagascar, sur le bassin versant Ifanindrona, une centrale hydroélectrique utilise une grande partie de l’eau et les paysans riziculteurs aux alentours sont souvent pénalisés. Le Gret a appuyé la constitution d’une plateforme, réunissant tous les acteurs du bassin versant. Les usagers de l’électricité de la centrale paient ainsi une redevance à la plateforme pour financer ses activités de coordination et de préservation des ressources. 

Pour le Gret, la gestion intégrée des ressources en eau locale est donc un processus politique qui vise à définir les modalités d’un partage équitable et d’une utilisation durable des ressources en eau d’un territoire. Elle répond aux enjeux des territoires en accordant aux acteurs locaux un droit de décision dans leur gestion selon un exercice démocratique et en mettant en commun les connaissances de chacun∙e pour mieux éclairer les prises de décision. À l’heure de l’urgence climatique où la répartition de l‘eau est source de nombreux conflits dans le monde, un tel processus politique peut permettre de poser des conditions pour un dialogue de paix.  

Marion Disdier, responsable communication et référente Amérique latine, avec l’appui de l’équipe Gestion des ressources naturelles du Gret


[1] Appelés « Plateformes locales de l’eau » au Sénégal et « Organe local de gestion de l’eau » au Togo

[2] L’approche par les communs a été reprise par la politologue Elinor Ostrom dans les années 1990.

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