12 décembre 2017
Villes et habitat Villes inclusives France

Urbanisation informelle : l’urgence d’innover et de diversifier les politiques publiques en Outre-mer

Actualité

Article publié dans la Revue Habitat et Francophonie – Octobre 2017
Par Renaud Colombier, responsable de programmes de développement urbain et habitat au Gret, avec la collaboration de Jacques Julien, Directeur de Soliha Mayotte

Plusieurs territoires français en Outre-mer connaissent un développement exponentiel de quartiers dits « d’habitat spontané », avec de lourds impacts sociaux, économiques et environnementaux. Cette situation exige d’innover pour contextualiser et diversifier les politiques de logement afin d’intégrer les plus modestes à la ville. Le Gret et Soliha* plaident pour changer d’approche et démultiplier les expérimentations.

Les défis de l’urbanisation informelle

Il existe en France des communes (en particulier en Guyane, Nouvelle-Calédonie et à Mayotte) où la croissance démographique et les taux de fécondité sont supérieurs à ceux de pays comme le Niger ou l’Ouganda. Or le déséquilibre entre cette croissance démographique et la disponibilité des ressources, essentiellement les transferts métropolitains et européens, s’accroît. Elles sont confrontées à une paupérisation de la population et une absence de développement endogène qui produisent un clivage entre des modes de vie calés sur les modèles métropolitains, et d’autres comparables à ceux des pays à revenu national brut (RNB) par habitant faible.

Cette situation s’exprime par un déficit important de logements, notamment très sociaux, compensé par un développement accéléré de quartiers d’habitat spontané, c’est-à-dire de logements auto-construits sans titres, ni droits, la plupart en situation d’insalubrité et isolés des fonctions urbaines essentielles. Ce phénomène a des conséquences de plus en plus lourdes : ségrégation sociale, exclusion, étalement urbain, mitage des zones agricoles et naturelles, mise en danger des populations, manque à gagner pour la fiscalité locale et coûts exorbitants de rattrapage. Il traduit les limites des politiques du logement tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Ces dernières années, diverses études visaient à concevoir de nouveaux modes d’aménagement et de logement (DEAL (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) de Guyane, CGEDD (Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, NPRU (Nouveau Programme de Renouvellement Urbain), etc.), et la loi Letchimy a ouvert des pistes et élargi la gamme des instruments pour agir. Mais pour l’heure, trop peu d’expérimentations dépassent le stade des études, faute de volonté politique suffisante des acteurs locaux et de l’Etat et de crédits LBU (Ligne Budgétaire Unique) pour couvrir la diversité des besoins. Également, si la tropicalisation des normes semble faire consensus, dans la réalité, les réticences à déroger aux standards métropolitains sont profondément ancrées. Enfin, la question de l’irrégularité administrative d’une partie des habitants de ces quartiers introduit une contrainte supplémentaire, certes complexe, mais qui sert aussi souvent de prétexte à l’immobilisme.

Face à cet immense défi, ces territoires doivent trouver des adaptations, tout en s’inscrivant dans une trajectoire de transition écologique et sociale. Le coût de l’inaction serait sinon exorbitant, comme nous avons pu le montrer dans le cadre d’une mission de prospective territoriale à 2030 pour la commune de Saint-Laurent-du-Maroni.

*Prospective territoriale à Saint-Laurent-du-Maroni : quels futurs inventer face aux enjeux démographiques ?, R. Carlier, R. Colombier, F. Temporal, coll. Etudes, AFD, Paris, 2016.

Changer d’approche

Il est urgent de de se donner réellement les moyens de compléter la gamme existante des outils d’intervention. L’élaboration de solutions pour les plus modestes qui favorisent véritablement leur inclusion socio-économique et leur pouvoir d’agir suppose de changer d’approche.

Il s’agit d’abord de ne plus les considérer comme de simples bénéficiaires de transfert de ressources mais comme les acteurs de leur propre bien-être et autonomie. Cela présuppose la reconnaissance par les pouvoirs publics, nationaux et territoriaux : – que les innovations sont à trouver grâce à la participation active, y compris financière, des habitants et grâce à un accompagnement adapté pour renforcer et stimuler leurs initiatives individuelles et collectives ; – que les solutions passent par une adaptation fine à chaque contexte et un ancrage dans les réalités locales, et non par une uniformisation des dispositifs d’aides à l’ensemble des Outre-mer ; – qu’il est nécessaire de développer des approches intégrées, c’est-à-dire à la fois sociales, culturelles, économiques, urbaines, environnementales et territoriales.

Le cas de Saint-Laurent du Maroni : une offre d’habitat adapté aux plus modestes

Le groupement Gret – Pact de Guyane (Aujourd’hui Soliha Guyane) – Agir a par exemple développé ce type de démarche dans le cadre de la réalisation d’un plan pré-opérationnel pour Saint-Laurent-du-Maroni, sur financement de la DEAL de Guyane. La démarche visant à offrir une solution pérenne de relogement à des familles issues de deux quartiers d’habitat spontané, s’est appuyée sur trois piliers :

  • une étude approfondie des savoir-faire locaux, des ressources et filières locales, des modes de vie et d’habiter, une écoute et une implication réelle des habitants ;
  • des innovations administratives, financières, foncières fondées sur l’étude des règlements et standards et leur adaptation ;
  • la négociation et la construction de compromis politiques, sociaux, techniques, avec toutes les parties concernées.

Le type de logement proposé reprend le procédé constructif des pratiques informelles d’auto-construction et d’auto-promotion. Il combine, d’une part, la réalisation par des entreprises qualifiées de modules de base, comportant les éléments constructifs indispensables à la salubrité, la sécurité et la durabilité du logement et d’autre part, l’auto-construction encadrée du reste du logement. Le montage financier s’appuie sur le dispositif existant d’éligibilité à une subvention LES (Logement Evolutif Social) moyennant certaines adaptations et la valorisation de l’auto-construction au coût entreprise. Le coût pour l’État est réduit de 35 à 50 %, selon les types, tout en restant accessible aux familles ciblées. Le coût modéré à la charge des familles, la possibilité d’achever et d’améliorer le logement de façon progressive, celle de séparer propriété foncière et propriété du bâti (via une formule de bail à construction « à l’envers »), permettent de ne pas recourir au crédit.

Cette proposition s’est matérialisée par la publication d’un arrêté préfectoral des aides à l’accession en Guyane publié en juillet 2015*. L’opération n’a pas encore été mise en œuvre mais cette formule est testée dans le cadre d’une autre opération conduite par l’Etablissement Public Foncier et d’Aménagement de Guyane, EPFAG) et le Pact de Guyane à Saint- Laurent-du-Maroni.

Ce n’est là qu’un exemple mais nous sommes convaincus qu’un soutien résolu à ce type de démarches contribuera fortement à construire des villes inclusives et viables, plus conviviales et en plus grande harmonie avec leur environnement. L’Etat et les collectivités locales ont tout intérêt à s’appuyer sur les processus de production sociale de la ville, en créant des conditions favorables à leur déploiement et en redéfinissant de façon concertée les normes minimums à respecter, tout en prenant mieux en compte les nouvelles contraintes liées au dérèglement climatique. La mise en œuvre de ce type de solutions exige un portage politique fort et une volonté claire d’intégrer les habitants et les quartiers spontanés à la ville, comme concrétisation du droit à la ville pour tous. Le modèle proposé donnant une fonction de maître d’ouvrage forte aux habitants défavorisés, cela impliquerait de repenser aussi les usages de la LBU. Ses moyens (au-delà de l’urgence à les augmenter par simple souci d’équité territoriale et d’adéquation aux besoins) devraient être ciblés de façon plus équitable en faveur des plus pauvres, en assistance à maîtrise d’ouvrage (accompagnement social et technique), et moins en simple subventionnement de la filière de la construction. En effet, il ne s’agit pas d’un retrait de l’Etat mais d’un redéploiement d’une partie de ses actions et de ses moyens.

* Arrêté n°2015 212_0004_DEAL du 31 juillet 2015

* Le réseau SOLIHA, Solidaires pour l’Habitat, premier réseau national pour l’amélioration de l’habitat, qui regroupe 197 structures sur le territoire français et 9 associations dans les « outremer », est né de la fusion des deux fédérations nationales PACT et Habitat & Développement au mois de mai 2015.

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