25 février 2025
Systèmes alimentaires Agroécologie Genre Brésil

Agroécologie et féminisme : une lutte pour l’égalité et l’accès aux droits au Brésil 

Actualité

Dans les zones rurales et périurbaines de l’État de São Paulo, au Brésil, la terre et le corps des femmes partagent une même histoire de domination, de résistance et de reconquête. Les équipes du Gret, en partenariat avec l’ONG brésilienne Sempreviva Organização Feminista (SOF) mettent en œuvre le projet “Agroécologie et féminisme” qui vise à renforcer les droits d’une centaine d’agricultrices, en luttant à la fois contre les violences basées sur le genre et pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement.  

Le corps-territoire : une réappropriation féministe 

La notion de corps-territoire est centrale dans la réflexion des agricultrices brésiliennes. Cette idée part du constat que les oppressions qu’elles subissent sur leur propre corps sont directement liées à celles qu’elles vivent sur leur territoire. Il ne s’agit pas de dire que les femmes seraient par essence proches de la nature mais que le capitalisme repose sur la domination patriarcale et raciste. Comme la terre, le corps des femmes est exploité, contrôlé et souvent nié dans son autonomie. Pourtant, il est aussi un lieu de résistance et de pouvoir.  

Dans les territoires quilombolas, où vivent des communautés afrodescendantes, cette lutte prend une dimension particulière. Ces terres, conquises après des siècles d’oppression, sont le fruit d’une histoire de résistance collective. Aujourd’hui, certaines femmes y mènent un combat double pour que leur travail dans les champs soit reconnu et pour que leurs voix soient entendues dans la sphère publique. « Le machisme nous prive de nos opportunités professionnelles et de notre droit à cultiver ce que nous voulons. Que ce soit à la maison ou dans les champs, les femmes sont souvent ignorées”, explique l’une des agricultrices accompagnées dans le cadre du projet. “Nous demandons à avoir les mêmes droits que les hommes pour que notre travail soit valorisé. Nous souhaitons pouvoir travailler au sein de notre propre communauté et générer notre propre revenu. » 

« Les agricultrices subissent des violences à plusieurs niveaux : individuel, lorsque leur mari leur interdit de planter les légumes qu’elles veulent, communautaire, lorsque la parcelle qu’elles louent leur est retirée dès qu’elle devient productive. Mais aussi au niveau institutionnel, lorsque la banque leur refuse un crédit pour acheter des intrants ou des outils considérant « qu’une une femme n’arrive jamais à rembourser », ajoute Marion Disdier, responsable du projet au Gret. Toutes ces violences de genre ne sont pas des exceptions, mais des mécanismes qui perpétuent un système patriarcal de domination.  

Agroécologie et solidarité : une réponse à l’oppression 

L’agroécologie est bien plus qu’une alternative à l’agro-industrie. Pour ces femmes, il s’agit aussi d’un acte politique. En choisissant de cultiver des semences natives, d’utiliser du fertilisant naturel et d’associer les cultures, elles récupèrent du pouvoir sur leur environnement et sur leur autonomie économique. 

Le mutirão, cette pratique communautaire où l’on travaille ensemble aux champs, devient aussi un espace de renforcement collectif. En se soutenant mutuellement, ces femmes dépassent l’isolement et se protègent des violences qu’elles subissent : « Nous devons nous unir, même avec nos différences. Ce qui nous renforce, c’est notre unité et notre solidarité ». Cela reflète tout l’enjeu de la sororité, cette solidarité entre femmes pour surmonter les obstacles imposés par la société patriarcale.  

Influencer la politique nationale d’assistance technique à l’extension rurale  

Selon ONU Femmes, les politiques publiques visant à lutter contre les inégalités de genre tendent à être plus efficaces lorsqu’elles s’appuient sur la structure des droits humains pour relier politique et économie, élargir la notion de travail et réaffirmer le principe d’universalité. C’est pour cela que le projet “Agroécologie et féminisme” ne se limite pas à des actions de terrain mais participe aussi à une transformation structurelle en influençant les politiques publiques. Cela se traduit par le fait d’impliquer le ministère du Développement agricole et de l’Agriculture familiale et les mairies dans les activités de sensibilisation sur les violences basées sur le genre au cours desquelles les préoccupations des agricultrices remontent directement.  Une autre activité du projet est la participation de la SOF au Conseil national pour l’agriculture familiale, conseil qui prépare la conférence nationale d’assistance technique à l’extension rurale qui aura lieu cette année. Cet ancrage institutionnel permet d’orienter cette politique pour qu’elle soit féministe et sans violence. 

Le combat des agricultrices brésiliennes pour l’agroécologie est indissociable de leur lutte pour l’égalité, la justice socio-environnementale et le “bien-vivre”. En cultivant leurs terres de manière durable, elles revendiquent leur autonomie économique, leur souveraineté alimentaire et leur droit à une vie sans violence. Leur mobilisation dépasse le cadre local et s’appuie sur des organisations comme la SOF, qui porte leurs revendications dans les espaces de décision et influence les politiques publiques en leur nom. Miriam Nobre, coordinatrice de la SOF est convaincue qu’« il s’agit d’articuler l’individuel et le collectif en renforçant chaque femme victime dans sa recherche de moyens pour surmonter la situation de violence, soutenir les communautés pour les accueillir, qualifier les actions publiques pour créer et maintenir des environnements dans lesquels nous nous sentons en sécurité pour nous déplacer.[1] ». Dans un contexte où les droits des femmes et l’accès à la terre restent des enjeux politiques majeurs, leur résistance est un message puissant : chaque parcelle cultivée, chaque savoir transmis et chaque solidarité tissée façonnent un monde plus juste et durable, au Brésil et au-delà. 

Retrouver plus d’informations sur le projet : Agroécologie et féminisme au Brésil

[1] “Mulheres em defesa do corpo-território-terra por uma vida livre de guerras e violência”, Miriam Nobre 

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