12 juin 2025
Systèmes alimentaires Agroécologie Madagascar

« Nourrir le Sud durablement »

Bloc agroécologique à Madagascar

Une ONG au service d’une agriculture résiliente dans le Grand Sud malgache

La région Androy, au Sud de Madagascar souffre d’un phénomène de sécheresses récurrentes, à l’origine de graves crises alimentaires que ses habitant·e·s appelent « Kéré ». Mais depuis 10 ans, une ONG appuyée par le Gret, a mis en place des techniques agricoles innovantes qui permettent à plus de 20 000 familles de vivre dignement.

“La région d’Androy est notre source. Nous y avons tous vécu, de la naissance jusqu’à aujourd’hui.  Nous avons progressivement franchi les obstacles, y subissant le crash-test de toutes les techniques que nous diffusons ». Tolotra Ranaivoharimanana est directrice exécutive du Centre Technique Agro-écologique du Sud (CTAS), créé en 2013 sous l’impulsion du Gret, du GSDM (une association malgache spécialisée dans l’agro-écologie) et de la FAO dans le cadre du projet Asara Hoba[1]. Objectif : renforcer la sécurité alimentaire et augmenter les revenus agricoles dans la région Androy. Rapidement, le CTAS a su gagner la confiance des agriculteurs et agricultrices locaux via l’approche « paysan à paysan ».

Des blocs agroécologiques à l’épreuve de la grande sécheresse de 2020

Le « crash-test » dont parle Tolotra a été vécu en grand par le CTAS pendant la terrible sécheresse qui a frappé l’Androy entre 2020 et 2021. Onze mois sans pluie, qui ont mis à l’épreuve l’une des grandes innovations développées par le Centre avec le Gret : les blocs agroécologiques. Il s’agit d’aménagements collectifs, initialement conçus sur des parcelles de 10 hectares, visant à protéger les cultures du “tioka mena”, un vent violent dévastateur.

La clé du changement ? Un système qui repose sur une diversification des espèces cultivées, allant des plantes rampantes aux arbres fruitiers, créant un effet oasis qui stabilise les sols et améliore la rétention d’eau. Alors que les cultures avoisinantes périssaient, ces blocs agro-écologiques ont fait preuve de résilience, confirmant la pertinence du modèle. Une innovation salvatrice face à une pluviométrie erratique et un sol peu fertile.

Aujourd’hui, grâce au soutien croissant de partenaires financiers, ces blocs s’étendent sur 10 330 hectares et bénéficient à plus de 22 000 ménages. La grande famille du CTAS, qui compte plus de 50 salarié·e·s, elle aussi ne cesse de s’agrandir. Et offre un environnement propice à l’épanouissement des jeunes talents et à l’innovation. « La curiosité et les valeurs de l’ONG m’ont convaincu », confie Randrianarisoa Ny Aina Tahiry, coordinateur de l’antenne Androy. « Travailler pour une cause qui a du sens et montrer que le Sud, ce n’est pas seulement des histoires de Kéré, mais aussi une terre de richesses et d’opportunités, est une fierté ».

Des pratiques agroécologiques qui portent leurs fruits

Razafitsiliso Aldonne, agriculteur accompagné par le CTAS

Razafitsiliso Aldonne, agriculteur

Ces richesses et ces opportunités là sont aujourd’hui bien tangibles. Située à environ 25 km d’Ambovombe, Sampoina, une zone soutenue par le CTAS depuis 2020, est désormais métamorphosée. Oubliée l’époque où les terres de Razafitsiliso Aldonne, l’un des premiers agriculteurs accompagnés par l’ONG, n’étaient qu’une surface aride et infertile : 10 m² de cultures, survivant difficilement aux conditions extrêmes de la région. Son exploitation s’étend désormais sur 3 hectares verdoyants de sorgho et de manioc. Il parvient ainsi à subvenir durablement aux besoins de sa famille.

L’histoire de Sempe Maho, témoigne, elle aussi, de l’efficacité de l’ONG. Accompagnée par le CTAS depuis sa création en 2013, elle est devenue paysanne multiplicatrice de semences et joue un rôle clé dans la filière semencière locale. Adaptées aux conditions climatiques de la région, ses graines permettent à de nombreux agriculteurs et agricultrices de renforcer la résilience de leurs cultures.

Sempe Maho, paysanne multiplicatrice de semences

Sempe Maho, paysanne multiplicatrice de semences

Les graines sont rachetées par le CTAS, avant d’être revendues dans les boutiques de l’ONG. « Nous signons un contrat avec le CTAS, dans lequel une partie de l’achat de semences est réservée sous forme de bons d’achat pour préparer la prochaine saison », témoigne-t-elle. « Le reste de la somme me permet d’acheter de la volaille, de réparer ma maison et de financer la scolarité de mes enfants ». L’évolution est palpable, dit Sempe Maho : “Avant, je ne pouvais pas exploiter l’ensemble de mes champs. Je n’avais pas les moyens d’assurer la préparation des terres ni d’embaucher quelqu’un pour m’aider », explique-t-elle. « Aujourd’hui, grâce au CTAS, je peux me le permettre. Le centre m’a aussi aidée à améliorer la qualité et la quantité de mes productions, grâce aux formations dispensées par ses techniciens ».

Un avenir tourné vers la transformation et la valorisation des produits agricoles

Tout n’a pas été simple. Chaque grande aventure rencontre des obstacles et le CTAS n’a pas fait exception. « En 2018, la fin du projet Asara-Hoba a failli marquer la disparition du centre. Mais, grâce à une mobilisation collective et une stratégie de diversification des partenariats, l’organisation a su rebondir », indique Tolotra Ranaivoharimanana. Le CTAS a su faire ses preuves et se tourne maintenant vers l’avenir.

Si les dix premières années ont été consacrées à l’implantation et à la diffusion des pratiques agro-écologiques, l’ONG ambitionne désormais de passer à une phase de transformation et de valorisation des produits agricoles. Fort de son succès dans l’Androy, il a élargi son champ d’action avec l’ouverture de deux nouveaux locaux à Antananarivo et Menabe. « Cela marque une nouvelle étape dans notre mission : assurer un développement agro-écologique durable à travers tout Madagascar », espère Tolotra.

Au CTAS, l’engagement se résume en une phrase : “Nourrir le Sud durablement”. Un objectif qui ne peut être atteint seul, mais grâce à la mobilisation collective de partenaires techniques et financiers, d’institutions étatiques et des populations locales.

Dix ans après ses débuts, le CTAS est déterminé à poursuivre son combat pour une agriculture résiliente, adaptée aux conditions climatiques extrêmes et accessible. Une décennie de défis et de victoires qui dessine une voie prometteuse pour l’avenir du Sud malgache et au-delà. « La famine n’est pas une fatalité », résume Tolotra.

Propos recueillis par Princia Randrianarivony, chargée de communication au Gret Madagascar

[1] Financé par l’Union européenne

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